Le Canada soutient qu'il a déjà déposé à la table de négociations des propositions complètes sur plus de la moitié des 30 sections de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), et des propositions substantielles dans les autres sections de l'accord commercial.

Des responsables ont répondu lundi à ceux qui, à Washington, accusent le Canada de demeurer inflexible et contre-productif, voire entêté, dans ses réponses aux controversées propositions des États-Unis - augmenter le contenu américain dans l'automobile, éliminer le mécanisme de règlement des litiges, et instaurer une «clause crépusculaire» pour permettre à un signataire de se retirer après cinq ans.

Des responsables bien au fait des négociations, qui ont requis l'anonymat, ont indiqué à La Presse canadienne qu'Ottawa amorce la sixième ronde de négociations, qui s'est ouverte dimanche à Montréal, avec des propositions écrites à toutes les tables sectorielles.

Selon ces sources, le Canada avait déposé la plupart de ses propositions écrites dès la fin de la deuxième ronde de négociations, et l'ensemble d'entre elles à la troisième ronde, en septembre dernier. Or, Washington a déposé ses propositions controversées après cette troisième ronde. Le Canada s'explique mal comment on peut maintenant l'accuser de faire preuve d'inflexibilité ou de sortir tout à coup de son chapeau des enjeux dits «progressistes» - équité hommes-femmes, conditions de travail, environnement et respect des Autochtones.

La ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, avait convié lundi à Toronto le ministre mexicain de l'Économie, Ildefonso Guajardo, pour comparer leurs notes. Mme Freeland, qui est par ailleurs responsable du commerce canado-américain, tentera aussi de rencontrer le représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer, jeudi ou vendredi lors du Forum économique de Davos, en Suisse.

La ministre canadienne de l'Environnement, Catherine McKenna, était de passage lundi à Mexico, où elle a rencontré son homologue mexicain, Rafael Pacchiano Alaman. Les dispositions de l'ALENA portant sur l'environnement ont occupé l'essentiel de leurs discussions.

Selon Mme McKenna, le Canada et le Mexique sont sur la même longueur d'onde dans ce dossier, notamment sur le droit de chaque pays de réglementer les questions environnementales sur son territoire et sur la nécessité d'agir pour lutter contre les changements climatiques. Ottawa et Mexico veulent que ces deux points figurent dans la nouvelle version de l'ALENA, mais Washington semble peu disposé pour l'instant.

«Nous sommes alignés avec le Mexique en ce qui concerne le chapitre sur l'environnement et je crois que nous faisons des progrès constants avec les États-Unis», a dit Mme McKenna.

Il est «absurde» de dire qu'un chapitre sur l'environnement menace les négociations, a-t-elle ajouté, soulignant que les États-Unis avaient dit dès le départ qu'ils voulaient que le chapitre distinct sur l'environnement soit inclus dans le texte principal de l'ALENA.

La ronde de Montréal s'amorce sous la menace constante d'un retrait américain de l'ALENA, que brandit épisodiquement le président Donald Trump. Or, on apprend que le Mexique a déjà élaboré un «plan B», et ne se gêne pas pour l'agiter sous le nez des Américains, selon des sources.

Le Mexique met la dernière main à un accord de libre-échange avec l'Union européenne, et cette zone économique ne demanderait pas mieux que d'occuper la place laissée vacante par les États-Unis, notamment dans le secteur laitier, plaide-t-on. Par ailleurs, le Mexique négocie depuis 10 mois avec l'Argentine et le Brésil pour assurer ses approvisionnements en maïs et en blé - «et les Américains en sont parfaitement conscients».

Le ministre Champagne n'est pas inquiet

De passage à Montréal lundi, le ministre canadien du Commerce international, François-Philippe Champagne, a lui aussi joué la carte du «plan B» en cas de retrait américain.

«On est prêt à toutes les éventualités depuis le début, a-t-il soutenu. Moi, je ne parle pas d'inquiétude, je parle de préparation. C'est pour cela qu'avec le Québec, par exemple, cette année, en septembre, on a ouvert le plus grand marché en Europe - 510 millions de consommateurs -, on continue à regarder du côté de l'Amérique du Sud, du côté de l'Asie-Pacifique: pour nous, ce qui est important, c'est l'ouverture des marchés, on va continuer de le faire, mais on est prêt à toutes les éventualités.»

M. Champagne et la ministre québécoise de l'Économie, Dominique Anglade, ont rencontré lundi matin à Montréal plusieurs acteurs clés de secteurs qui sont touchés par l'ALENA au Québec - culture, agriculture, syndicats et employeurs, municipalités.

La ministre Anglade fait confiance, elle, à une réelle volonté, aux États-Unis, de maintenir l'ALENA. «Il y a 10 jours, j'étais encore aux États-Unis, et il y a un élément, à mon avis, qui a changé depuis un an: c'est la prise de conscience, aux États-Unis, de l'importance de l'ALENA.

«Au-delà du fait que l'on se soit entendu, ils sont beaucoup plus »vocaux« - ils verbalisent le fait que l'ALENA, c'est important. Et cette dynamique-là, elle a changé dans la dernière année. Donc, on comprend, on voit qu'il y a une mobilisation aux États-Unis, indépendamment de l'administration fédérale», a estimé la ministre québécoise de l'Économie.

La sixième ronde de négociations doit se poursuivre jusqu'à lundi prochain, et certains y voient une étape décisive, qui pourrait aussi sonner le glas de l'accord commercial entré en vigueur il y a 24 ans, en 1994.

Les entreprises au secours de l'ALENA

Les grands pôles économiques nord-américains ont réclamé lundi à Montréal que les gouvernements canadien, américain et mexicain trouvent un terrain d'entente dans la renégociation du traité de libre-échange entre les trois pays.

À la veille de la sixième séance de discussions sur la modernisation de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui s'engage mardi à Montréal pour près d'une semaine, les entreprises et leurs patrons ont mis leur poids dans la balance pour préserver la liberté des échanges de marchandises et garantir leur activité et les emplois.

Représentées par leurs chambres de commerce, les entreprises exhortent les gouvernements «à parvenir à un accord pour une mise à jour de l'ALENA» et à préserver un traité afin «d'assurer la future réussite économique des trois nations».

Ces organismes partagent «le désir commun de maintenir le libre-échange entre les États-Unis, le Mexique et le Canada», selon la déclaration commune signée à l'issue de leur réunion lundi.

L'ALENA est en vigueur depuis 1994 mais le président Donald Trump veut le supprimer faute d'arriver à une modernisation au profit des États-Unis.

«14 millions d'emplois aux États-Unis, 2 millions d'emplois au Canada et 3 millions d'emplois au Mexique dépendent du commerce» de biens et de services entre les trois pays membres. Et «des 14 millions d'emplois américains, 5 millions sont directement liés à la croissance de l'ALENA», selon la déclaration des signataires.

Depuis 24 ans, l'interconnexion des économies s'est concrétisée par des «chaînes de valeur» de plus en plus intégrées. «De nombreux produits traversent nos frontières à de multiples reprises avant de devenir des produits finis». Par exemple, 40% du contenu des importations américaines en provenance du Mexique, sont initialement fabriqués aux États-Unis, selon la déclaration.

Une rupture de cet accord aurait pour conséquence de chambouler profondément les activités des entreprises nord-américaines avec des impacts significatifs sur l'emploi.

Les signataires, réunis à Montréal, représentent les huit plus grandes chambres de commerce du Canada, dix chambres de commerce métropolitaines américaines et sept métropoles mexicaines.

- Avec AFP