Sur les marchés cubains, les achats impliquent souvent de fastidieux calculs imposés par la dualité monétaire, système singulier dont La Havane semble éprouver les plus grandes peines à se débarrasser depuis plusieurs années.

Depuis douze ans, deux monnaies circulent à Cuba : le peso cubain (CUP), utilisé pour les transactions strictement domestiques, et le peso convertible (CUC, égal au dollar américain et qui vaut 25 CUP) qui servait initialement à payer les produits et services importés.

Sans équivalent dans le monde, cette cohabitation de deux monnaies locales constitue un véritable casse-tête pour les Cubains et les touristes étrangers, mais elle présente surtout l'inconvénient de renforcer distorsions macro-économiques et inégalités sur l'île.

Depuis deux ans, le système n'est plus compartimenté et tous les commerces acceptent les deux monnaies, une mesure présentée à l'époque comme un premier pas vers la fin de ce système.

Mais l'unification annoncée marque le pas sans que le gouvernement n'en explique les raisons. Le ministre de l'Économie Marino Murillo, qui pilote le dossier, avait initialement fixé l'échéance à fin 2015, début 2016, mais rien n'a été annoncé depuis.

«La dualité monétaire a divisé l'économie en deux segments pas toujours connectés», observe Mauricio Miranda, économiste cubain de l'Université Javeriana de Colombie.

D'un côté, il existe «un secteur émergent» de travailleurs indépendants qui utilisent les CUC, et de l'autre le segment majoritaire de l'économie, principalement étatique, qui perçoit et émet des CUP, explique l'expert.

Selon lui, ce double système a provoqué une «inversion de la pyramide sociale». Car un véritable monde sépare les travailleurs indépendants, ceux qui reçoivent de l'argent de l'étranger, qui travaillent au contact des touristes ou pour des entreprises étrangères, et la majorité des Cubains - surtout dans les campagnes - pour qui le peso convertible est inaccessible.

Une serveuse mieux payée qu'un chirurgien

Aujourd'hui, par exemple, une serveuse dans un bar privé peut gagner jusqu'à 200 CUC par mois, contre 750 pesos cubains (équivalents à 30 CUC) pour un chirurgien.

«On s'est adapté», mais avec «une seule (monnaie) on aurait moins de difficultés parce qu'il y a des gens, par exemple nos fournisseurs ou les transporteurs, qui ne veulent pas de CUC», explique à l'AFP Maria Emilia Sanchez, propriétaire d'un petit stand de fruits et légumes à La Havane.

Samedi, le VIIe Congrès du Parti communiste de Cuba (PCC, unique) doit réaliser un bilan d'étape des réformes économiques lancées par Raul Castro depuis qu'il a succédé à son frère Fidel à partir de 2006, mais rien n'indique pour l'heure que la question de l'unification monétaire soit éclaircie à cette occasion.

Or cette dualité constitue une embûche de taille pour le développement de Cuba, à l'heure de l'ouverture de l'île aux investissements étrangers dans la foulée des rapprochements engagés avec les États-Unis ou l'Union européenne.

«La double monnaie a permis d'affronter les déséquilibres de la crise des années 1990 (consécutive à la chute du bloc soviétique, NDLR) puis de promouvoir l'entrée d'autres devises après que furent coupées les relations avantageuses avec l'URSS», souligne Pavel Vidal, un des plus éminents économistes cubains.

Mais aujourd'hui «la dualité des monnaies et des taux de change fausse les évaluations des performances de l'économie, segmente et affaiblit le marché intérieur et empêche la relation de tous les secteurs économiques avec les marchés internationaux», poursuit l'expert.

À terme, le CUC devrait disparaître, et permettre aux 11 millions de Cubains de ne plus jongler entre deux monnaies.

Ariana, vendeuse de 29 ans dans une échoppe d'artisanat, attend ce jour avec impatience, à la fois par commodité et pour le bien de son commerce. Car, rappelle-t-elle, «c'est beaucoup mieux d'aller faire ses achats avec une seule monnaie plutôt que devoir toujours circuler avec deux monnaies différentes».