L'Allemagne s'est farouchement opposée vendredi à ce que les pays du G20 engagent de nouveaux plans de relance budgétaire, illustration des vues divergentes exprimées par les puissances réunies au G20-Finances de Shanghai quant aux meilleurs moyens de conforter une croissance mondiale en panne.

Les tentatives de doper l'activité économique en assouplissant toujours davantage la politique monétaire pourraient s'avérer «contreproductives», tandis que les relances budgétaires, qui voient les États gonfler leurs dépenses publiques, «ont perdu de leur efficacité», a mis en garde le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble.

Un avertissement à contre-courant au sein du G20: face à l'assombrissement de la conjoncture et à la nervosité des marchés, les grandes banques centrales sont plutôt sommées d'utiliser à plein leur force de frappe.

La Banque centrale européenne (BCE) semble en voie d'agir plus vigoureusement, la Réserve fédérale américaine (Fed) redouble désormais de prudence après un relèvement de ses taux fin 2015, et la Banque du Japon s'est même résolue à instaurer des taux négatifs dans l'espoir de stimuler le crédit.

La banque centrale chinoise (PBOC), de son côté, a assuré vendredi garder «des marges de manoeuvre» pour assouplir encore sa politique monétaire.

Mais «réfléchir à de nouveaux plans de relance n'aboutit qu'à nous détourner des véritables tâches auxquelles nous devons nous atteler», c'est-à-dire d'indispensables réformes structurelles, a estimé Wolfgang Schäuble.

«Les politiques monétaires sont extrêmement accommodantes, au point qu'elles pourraient devenir contreproductives, au vu de leurs effets néfastes», a-t-il fait valoir, lors d'une conférence précédant la rencontre à Shanghai des grands argentiers du G20.

Mais les partenaires de Berlin --principale et dynamique économie de l'Union européenne (UE)-- semblaient peu enclins à partager l'intransigeante ligne allemande d'orthodoxie budgétaire.

«Gagner du temps pour réformer»

Certes, le ministre français Michel Sapin, comme M. Schäuble, juge inopportun de «lancer un programme global de relance budgétaire» ; mais certains pays «peuvent avoir plus de capacités et doivent utiliser leurs capacités budgétaires pour soutenir la croissance globale», a-t-il insisté depuis Hong Kong.

S'exprimant à Shanghai, le gouverneur de la Banque d'Angleterre Mark Carney a quant à lui rétorqué: «Certains commentateurs colportent le mythe que les politiques monétaires auraient épuisé leurs munitions», alors que le monde «risque d'être coincé entre une croissance médiocre, une inflation faible et des taux d'intérêt très bas».

Des relances monétaires peuvent «permettre de gagner du temps pour mettre en oeuvre des ajustements structurels», a argumenté M. Carney.

Une position qui rejoint le récent appel de Washington: les politiques de relance monétaire et budgétaire «sont des outils puissants quand ils sont utilisés de concert», a commenté le secrétaire au Trésor américain Jack Lew, rappelant que la reprise mondiale ne pouvait reposer sur les seuls États-Unis.

«Il est de plus en plus important (...) que les pays disposant d'une marge budgétaire l'utilisent pour soutenir leur demande intérieure», a abondé un haut responsable américain sous couvert d'anonymat.

«Morts-vivants»

La croissance mondiale s'essouffle et les signaux d'alarme sont légion, de la dégringolade des cours des matières premières aux turbulences boursières.

Mais si des coups de pouce monétaires sont utiles à court terme, il faut «dans la plupart des cas des réformes structurelles» pour doper durablement la demande, la productivité et les créations d'emploi, soulignait Alain de Serre, un responsable de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) présent à Shanghai.

La priorité pour les membres du G20 est de commencer «prudemment» à assainir leurs comptes publics, car «le modèle de croissance fondé sur l'endettement atteint ses limites», a abondé Wolfgang Schäuble.

«Si nous continuons dans cette voie, nul besoin de regarder les séries télé: les morts-vivants nous submergeront», a-t-il raillé, dénonçant les «firmes zombies» qui ne survivent que grâce au crédit.

Un problème particulièrement saillant dans l'industrie lourde chinoise: le géant asiatique fait d'ailleurs face à une envolée de l'endettement et des risques de défaut de paiement.

«Peut-être sommes-nous au bord du précipice avec deux options: tomber ou... poursuivre le douloureux processus de réformes», a reconnu vendredi le ministre des Finances Lou Jiwei.

Tout en encourageant le maintien de politiques monétaires accommodantes et de relances budgétaires «là où c'est approprié», le Fonds monétaire international (FMI) s'alarmait mercredi des risques financiers accrus à travers le globe.

Les efforts du G20 doivent ainsi «urgemment» se concentrer sur des moyens d'améliorer «le filet de sécurité financier» mondial, avait-il plaidé.