Alertée par les prix qui stagnent en zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) a abaissé jeudi un de ses taux directeurs et s'apprête à annoncer de nouvelles mesures monétaires, avec pour défi de satisfaire des attentes considérables.

L'institution monétaire a une nouvelle fois abaissé son taux de dépôt au jour le jour, de -0,2% à -0,3%. La mesure, qui s'apparente à une augmentation de la pénalité pour les banques qui stockent de l'argent, est destinée à les inciter à prêter, pour stimuler l'activité économique et relancer la faible inflation en zone euro.

La banque centrale crée une situation inédite pour les marchés financiers alors que la Réserve fédérale américaine s'apprête elle à atténuer son aide à l'économie américaine en remontant ses taux.

Les investisseurs sont désormais focalisés sur la conférence de presse du président de la BCE Mario Draghi, à partir de 8h30. D'autres annonces y seront faites, a indiqué un porte-parole de l'institution.

De l'avis général, la banque centrale va notamment muscler son vaste programme de rachats de dette, «QE» selon son acronyme anglo-saxon. Ce programme, déjà qualifié par les marchés de «bazooka» lors de son lancement en mars, consistait jusqu'à présent en l'achat de 60 milliards d'euros de titres par mois jusqu'en septembre 2016 au moins.

Les observateurs parlent déjà de «QE2» à propos d'un probable prolongement au-delà de 2016 et d'une augmentation anticipée des volumes mensuels.

Potentiel de déception

«Le marché mise sur une action forte», affirme Johannes Gareis, de Natixis. Selon cet analyste, la BCE a pris l'habitude «de surprendre les marchés, quelles que soient les attentes (...). Pour autant, nous voyons une chance pour que Mario Draghi déçoive cette fois-ci».

L'ampleur du stimulus supplémentaire va dépendre des projections économiques actualisées que les équipes de la banque centrale doivent publier jeudi, comme chaque trimestre.

Elles vont très probablement être revues à la baisse, mais si l'ajustement est marginal, la BCE sera à la peine pour justifier une plus large intervention, pointent certains analystes.

Autre source possible de retenue, plusieurs membres du conseil des gouverneurs, dont le président de la Bundesbank allemande Jens Weidmann, ont affiché leur hostilité à une nouvelle intervention, ce qui pourrait limiter l'ampleur des mesures que va dévoiler la BCE.

En l'absence de consensus, le conseil pourrait être contraint de recourir à un vote, un processus rarement utilisé. Et dans un tel cas, Mario Draghi ne pourra pas compter sur plusieurs soutiens potentiels, dont le Français François Villeroy de Galhau ou le Belge Jan Smets, contraints de s'abstenir en vertu d'un système de rotation des votes en vigueur depuis janvier.

«Près des limites»

Même si l'institution «agit de manière plus agressive, cela l'amènera simplement un peu plus près des limites du possible. En définitive, le volume de dette que la BCE peut acheter est limité et il y a aussi un plancher pour les taux d'intérêt», fait valoir Ulrich Leuchtmann, de Commerzbank.

Par conséquent, ce qui va surtout compter ce jeudi, «c'est de voir si la banque centrale va réussir à convaincre les marchés qu'elle a suffisamment de champ pour agir», poursuit M. Leuchtmann.

Baisse des taux directeurs, prêts géants quasi gratuits aux banques, rachats de dettes: l'institution monétaire a déjà multiplié les initiatives pour tenter de faire repartir les prix en zone euro, sans succès.

Lestée par la chute des prix du pétrole, l'inflation en zone euro est au point mort depuis plusieurs mois et n'est à nouveau ressortie qu'à 0,1% en novembre, très loin de l'objectif d'un peu moins de 2% des gardiens de l'euro.

L'activisme de la BCE inquiète certains partenaires de l'Europe. «Le principal canal par lequel son action va fonctionner est celui d'une nouvelle dépréciation significative de l'euro», s'émeut Desmond Lachman, du think tank conservateur américain American Enterprise Institute. «Même si ce pourrait être positif pour l'économie européenne, cela va imposer un poids substantiel au reste de l'économie mondiale».

En inondant elle-même le marché de liquidités et en baissant les taux, la BCE rend les placements en zone euro moins attractifs, ce qui pèse sur la valeur de la monnaie unique. L'euro s'est déprécié de 14% par rapport au dollar en un an.