La Grèce s'enfonce encore plus dans la crise : le pays a été contraint mardi de faire défaut sur sa dette vis-à-vis du FMI après avoir demandé, pour l'heure sans succès, une extension de l'aide financière européenne.

À court d'argent, Athènes n'a pas pu honorer le remboursement de 1,5 milliard d'euros dus au Fonds monétaire international, devenant ainsi le premier pays industrialisé à faire défaut vis-à-vis de l'institution.

«Je confirme que le remboursement (...) dû au FMI par la Grèce aujourd'hui n'a pas été reçu», a indiqué le porte-parole du FMI Gerry Rice dans un communiqué.

Conséquence immédiate : Athènes est privé d'accès aux ressources financières du FMI et le restera tant qu'il n'aura pas épuré sa dette envers l'institution qui essuie, elle, le plus lourd défaut de son histoire.

Parallèlement, le volet européen du plan d'aide à la Grèce a comme prévu pris fin à 18h00 (heure de Montréal), privant le pays de 16 milliards d'euros d'aide en tout genre (prêts, bénéfices sur les obligations détenues par la BCE, fonds pour les aides).

L'Eurogroupe doit reprendre mercredi matin pour examiner les propositions d'Athènes qui a demandé mardi un nouveau plan d'assistance financière.

Privé d'argent frais des institutions (FMI, UE, BCE) qui l'ont mis sous perfusion financière depuis 2010, le pays ne doit désormais plus sa survie financière qu'à l'aide d'urgence apportée à ses banques par la BCE.

Les conséquences sont difficiles à prévoir, mais le président américain Barack Obama a mis en garde mardi contre «un impact significatif» de la crise sur la croissance européenne.

À l'ouverture mercredi, l'indice Nikkei de la Bourse de Tokyo s'affichait en hausse de 0,27% à 20.291,05 points.

Coup de théâtre

La Grèce avait certes prévenu qu'elle ne rembourserait pas le Fonds monétaire international qu'elle accuse de «comportement criminel» pour avoir imposé des cures d'austérité drastiques à sa population.

Mais les autorités avaient toutefois tenté un ultime tour de passe-passe en tentant d'activer une clause exceptionnelle du FMI lui permettant d'obtenir un report de son paiement.

Le conseil d'administration du FMI a bien commencé à examiner cette requête, mais devra se réunir ultérieurement pour l'approuver ou la rejeter.

«C'est une triste page d'un triste chapitre. Le FMI a pris des risques énormes avec ce plan d'aide», a dénoncé à l'AFP le représentant brésilien au FMI, Paulo Nogueira Batista, s'exprimant à titre personnel.

Plus tôt dans la journée, la Grèce avait tenté un autre coup de théâtre en faisant de nouvelles propositions à ses créanciers européens après la rupture des négociations samedi et l'approche d'un référendum crucial dimanche sur la poursuite du plan d'aide.

Dans le détail, la Grèce a demandé à l'Eurogroupe de pouvoir conclure avec le Mécanisme européen de stabilité (MES), le fonds de soutien de la zone euro, un accord sur deux ans permettant de couvrir ses besoins financiers, soit environ 30 milliards d'euros, tout en restructurant sa dette, a fait savoir le bureau du premier ministre Alexis Tsipras.

La Grèce a même laissé entendre qu'elle pourrait suspendre l'organisation du référendum prévu sur les propositions de ses créanciers si les négociations reprenaient avec l'Union européenne, a indiqué une source européenne proche des discussions.

Cette idée d'un troisième plan d'aide, via le MES, va être étudiée «via les procédures normales», a affirmé Alexander Stubb, le ministre finlandais des Finances, après une conférence téléphonique de l'Eurogroupe en début de soirée.

Plus tôt mardi, la chancelière allemande Angela Merkel avait fermé la porte à toute discussion sur le sujet en affirmant que l'Allemagne n'était pas prête à discuter d'une nouvelle demande d'aide d'Athènes avant dimanche, jour du référendum.

Mme Merkel et son ministre des Finances Wolfang Schäuble, qui avait, lui, conditionné de nouvelles discussions à l'annulation du scrutin, doivent s'exprimer mercredi devant les députés du Bundestag lors d'un débat sur la Grèce.

Réunion cruciale à la BCE

Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, s'était lui montré énigmatique face à des journalistes à Bruxelles en prédisant «des événements importants (...) auxquels vous n'êtes pas préparés».

Pendant ce temps, au moins 20 000 personnes manifestaient à Athènes en faveur du oui au référendum, en opposition au gouvernement d'Alexis Tsipras qui appelle à un «puissant non».

La Grèce a désormais les yeux braqués sur une autre échéance cruciale : la réunion mercredi des 25 membres du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne qui doivent évoquer la situation du système bancaire grec.

Il devrait notamment être question de maintenir ou non une ligne de prêts d'urgence en faveur des établissements hellènes, fragilisés par des retraits massifs de Grecs inquiets pour leur avenir et celui de leur pays.

Techniquement, l'institution pourrait décider de couper le robinet financier à la Grèce, même si cela semblait peu probable.

Les économistes de gauche se mobilisent

PARIS - Plusieurs économistes de gauche se mobilisaient mardi pour défendre la Grèce, en demandant que le pays soit renfloué en urgence, avant de rouvrir les discussions pour éviter une sortie de l'euro.

Dans une lettre ouverte publiée par le Financial Times, 19 économistes et chercheurs dont le prix Nobel américain Joseph Stiglitz, le Français Thomas Piketty, l'ancien premier ministre italien Massimo d'Alema, l'ancien gouverneur de la banque centrale chypriote Panicos Demetriades, ou encore l'économiste américain James Galbraith, proche du ministre des Finances grec Yanis Varoufakis, demandent aux Européens de faire de la Grèce une «belle histoire».

Ces scientifiques estiment qu'il faut d'abord aider la Grèce à échapper à un défaut de paiement imminent en l'aidant à rembourser la somme de 1,6 milliard d'euros due mardi soir au Fonds monétaire international, mais aussi soulager le pays de lourdes échéances auprès de la Banque centrale européenne, tombant en juillet et août, via des échanges de titres.

Le tout doit selon eux permettre un «nouveau départ» dans les négociations entre la Grèce et ses partenaires, qui ont pris fin de manière fracassante le week-end dernier, après l'annonce d'un référendum en Grèce et un ultimatum financier des créanciers.

Toute nouvelle discussion devra se faire en «gardant en tête d'abord que la politique d'austérité récessive demandée à la Grèce a été critiquée par les économistes du FMI eux-mêmes, et ensuite que les dirigeants de Syriza ont promis de réformer profondément l'État grec - si on leur en laisse l'occasion».

Les demandes clés du gouvernement grec d'Alexis Tsipras, à savoir mettre fin à cinq années de politique d'austérité, et alléger la lourde dette publique du pays, sont soutenues depuis le début par de nombreux économistes prestigieux de centre-gauche.

L'un des plus virulents est un autre prix Nobel d'économie américain, Paul Krugman. Mardi, il a une nouvelle fois fustigé sur son blogue la gestion de la crise: «Si l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui organisée arrive à transformer des défaillances budgétaires de moyen terme (comme en Grèce) en cette sorte de cauchemar, alors ce système est profondément ingérable».

«On est tout près d'une grande catastrophe: ouvrir cette boîte de Pandore d'un pays sortant de la zone euro c'est une erreur qui serait dramatique, historique», a estimé M. Piketty de son côté, dans un entretien sur Europe 1.

L'économiste français vedette, connu pour ses travaux sur les inégalités, a jugé par ailleurs que «les gouvernements français, allemand, les autorités de Bruxelles ont toujours refusé d'aborder la question importante qui est la restructuration d'ensemble de la dette grecque et d'ailleurs d'autres pays européens très endettés comme le Portugal l'Italie.»

Chronologie d'une semaine critique

SAMEDI 27 JUIN

Vers 1 h locale (vendredi 18 h heure de l'Est), Alexis Tsipras annonce à la télévision un référendum le 5 juillet, visant à accepter ou à repousser la dernière proposition des créanciers sur de nouvelles mesures d'austérité, d'ores et déjà rejetées par Athènes.

«Le peuple doit décider hors de tout chantage (...). Les propositions des créanciers «ont pour objectif l'humiliation de tout un peuple», lance le premier ministre.

L'annonce surprise du référendum a comme premier effet de précipiter les Grecs vers les distributeurs d'argent.

Le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, qui estime que la Grèce a rompu les négociations, indique que le plan d'aide prendra fin le 30 juin, sans prolongation. Or, le 30 juin aussi, la Grèce doit 1,5 milliard d'euros au FMI, n'a manifestement pas l'argent pour le faire, et un non-paiement est alors considéré comme un évènement grave et exceptionnel.

DIMANCHE 28 JUIN

Dans la soirée, Alexis Tsipras annonce la fermeture des banques pour une semaine, et l'instauration d'un contrôle des capitaux. Les retraits aux guichets automatiques sont limités à 60 euros par jour.

Alexis Tsipras reformule sans succès auprès de l'UE et de la BCE la demande de la Grèce d'une prolongation au-delà du 30 juin du programme d'aide dont elle bénéficie. Le précédent gouvernement conservateur avait déjà obtenu une première prolongation de deux mois, jusqu'à fin février, de ce programme, étendu encore de quatre mois à la demande du gouvernement Tsipras.

La Banque centrale européenne (BCE) accorde un sursis à Athènes en maintenant inchangé le plafond de sa fourniture de liquidités d'urgence aux banques grecques. Le FMI se tient prêt à apporter «son assistance», déclare sa directrice générale Christine Lagarde.

Tout le week-end, d'importantes files d'attente s'étaient étirées devant les distributeurs, les Grecs cherchant à retirer le plus de liquide possible.

LUNDI 29 JUIN

Les banques grecques restent fermées, première journée de contrôle de capitaux décrétée par la Grèce, une décision qui déstabilise les bourses mondiales sans toutefois les faire paniquer.

Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, se lance dans la bataille pour le «oui». «Un ''non'' voudrait dire (...) que la Grèce dit ''non'' à l'Europe», affirme M. Juncker, critiquant le gouvernement de gauche radicale de Tsipras et se disant «trahi» par la Grèce.

Le président français François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel lient eux aussi le référendum au maintien de la Grèce dans l'euro, proposant d'en attendre l'issue avant une éventuelle poursuite des négociations.

Mais parallèlement, François Hollande et Barack Obama sont d'accord «pour favoriser une reprise des discussions». La porte «reste ouverte», déclare de son côté le patron de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, affirmant qu'il était encore «concevable» d'éviter un «Grexit», une sortie de la Grèce de la zone euro.

La Russie «comprend bien» la politique de Tsipras et espère que Bruxelles évitera un «scénario aux conséquences néfastes».

MARDI 30 JUIN

Jean-Claude Juncker propose à Alexis Tsipras une solution «de dernière minute» susceptible de débloquer un accord sur le renflouement du pays, selon une source de la Commission.

Le ministre grec des Finances Yanis Varoufakis confirme que la Grèce ne sera pas en mesure de payer avant la fin de la journée l'échéance de 1,5 milliard d'euros qu'elle doit au FMI.

Coup de théâtre : la Grèce propose à ses créanciers de conclure avec le mécanisme européen de stabilité (MES) un accord sur deux ans permettant de couvrir ses besoins financiers.

Une téléconférence de l'Eurogroupe est annoncée pour la soirée après cette proposition.

DIMANCHE 5 JUILLET

Mardi après-midi, le référendum sur l'offre des créanciers à la Grèce était toujours prévu pour dimanche.