L'optimisme des dirigeants de la zone euro sur les chances de sceller un accord avec Athènes cette semaine atténue la crainte d'un défaut de paiement de la Grèce, où se préparait cependant mardi une bataille politique pour faire accepter les concessions du gouvernement.

«Nous sommes très près (d'un accord), les 48 prochaines heures seront décisives», a estimé le porte-parole du gouvernement grec Gabriel Sakellaridis, après un sommet des dirigeants européens qui s'est terminé dans la nuit de lundi à mardi sur le constat d'un «pas en avant positif».

Mais l'exécutif grec est déjà sur un autre front: «Si l'accord n'a pas l'approbation des députés de la majorité gouvernementale, le gouvernement ne peut se maintenir», a-t-il averti en appelant à la «responsabilité individuelle» des parlementaires qui devront approuver dans l'urgence, avant le 30 juin, cet accord espéré.

Les discussions ont repris entre experts mardi à Bruxelles où certains négociateurs grecs sont restés jusqu'à une nouvelle réunion mercredi soir des ministres des Finances de la zone euro (Eurogroupe). Pierre Moscovici, le commissaire européen chargé des Affaires économiques, souhaite présenter ce jour-là «les paramètres d'un accord», à la veille d'un sommet européen, prévu de longue date à Bruxelles jeudi.

Ce sera moins de cinq jours avant la date-butoir d'un remboursement de quelque 1,5 milliard d'euros dû par la Grèce au FMI, qui alimente les craintes de défaut de paiement.

Le déblocage d'une tranche de prêt des créanciers toujours en suspens (7,2 milliards d'euros), ou un geste financier de la BCE, sera nécessaire pour qu'Athènes honore cette échéance. Or rien ne sera possible sans ratification de l'accord par plusieurs parlements d'Europe, dont l'Allemagne et la Grèce.

Et dans ce calendrier serré, «un travail vraiment intensif» reste à faire avec la Grèce, a souligné lundi la chancelière Angela Merkel, notamment «sur deux sujets», selon M. Moscovici, citant la répartition des différents taux de TVA et la réforme des retraites.

«Baiser de la mort»

Or, «il n'est pas question de mettre en oeuvre d'autres mesures (...) il n'est pas question de reculer d'un pas sur notre proposition», a prévenu le porte-parole du gouvernement grec, selon lequel les «pressions» restent «fortes» pour des mesures supplémentaires.

Lors du sommet, les créanciers ont notamment réclamé qu'Athènes augmente la TVA sur les hôtels et restaurants à 23%. La suppression d'un taux réduit dont bénéficient les îles grecques est également dans la balance.

Le gouvernement grec continue aussi d'insister pour que l'accord règle la question de la dette, sujet sur lequel les partenaires d'Athènes se sont montrés beaucoup plus prudents.

Le retour prévu de la TVA à 23% dans le secteur de la restauration, en vigueur entre 2011 et 2013, est déjà qualifié de «baiser de la mort» par le président de l'association des chaînes de restauration (SEPOA), Thanassis Papanikolaou.

D'autres protestations se font entendre au sein de Syriza, la gauche radicale au pouvoir depuis cinq mois, sans pour l'instant menacer l'approbation d'un accord au parlement où le parti dispose de 149 députés sur 300, associé au petit parti de droite souverainiste Grecs indépendants (Anel, 13 députés).

Dans un pays profondément éprouvé par la crise, la dernière liste des réformes soumise aux créanciers propose pour 2015 et 2016 des mesures d'un poids de huit milliards d'euros, dont la majorité sont de nouvelles taxes.

La Grèce a de surcroît accepté le principe d'une prolongation de son plan d'aide actuel au-delà du 30 juin, alors qu'elle souhaitait sortir de la tutelle de ses créanciers.

Athènes «a fait marche arrière sur ses prises de position», s'est félicité le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, tablant aussi sur un accord.

«Un accord contre le peuple»

Des députés de l'aile gauche de Syriza ont dénoncé les nouveaux sacrifices demandés à la population. L'un d'eux, Vangelis Diamantopoulos, a écrit sur sa page Facebook que «la tactique du ''il n'y a pas d'alternative'' ne peut pas être la marque de la gauche».

Mais plusieurs ministres sont venus au secours d'Alexis Tsipras, évoquant, comme le vice-ministre de la Réforme administrative, Georgios Katrougalos, «un mal nécessaire». Le premier ministre avait défendu lundi soir des propositions qui préservent «la justice sociale».

Le syndicat du Parti communiste (Pame) a appelé à une manifestation en début de soirée, dénonçant un «accord contre le peuple».

Les bourses européennes, dont celle d'Athènes, voyant s'éloigner le scénario du pire, ont pour leur part grimpé toute la journée.

Le conseil des gouverneurs de la BCE a de nouveau relevé mardi matin le plafond du financement d'urgence (ELA) qu'elle apporte aux banques grecques depuis plusieurs mois. Face aux retraits des épargnants, c'est la quatrième fois que la BCE augmente ce plafond en une semaine.

Les hausses d'impôts prévues par Athènes, un remède pire que le mal?

Sur le papier, le compte semble y être, mais pour satisfaire aux normes budgétaires de ses créanciers, la Grèce a préféré les hausses d'impôts aux baisses de dépenses, ce qui inquiète les économistes sur la viabilité de ces mesures.

La mission confiée aux Grecs par leurs créanciers (UE, FMI, BCE) est claire : réaliser un excédent primaire (c'est-à-dire le solde budgétaire hors charge de la dette) de 1% du PIB en 2015 et de 2% en 2016. Pour y parvenir, les créanciers exigent des mesures équivalant à 1,5% du PIB cette année, et 2,5% l'an prochain.

Athènes a renâclé, mais a fini par présenter lundi un projet dépassant même la demande : 1,51% de PIB de mesures cette année, et 2,87% l'an prochain, pour un total de pratiquement 8 milliards d'euros.

Des propositions «parfaitement en ligne avec les demandes des créanciers, bien plus solides et facilement quantifiables que les précédentes», se réjouissait Platon Monokroussos, chef économiste de la banque grecque Eurobank.

Le problème, relève Jacob Funk Kirkegaard sur le site du Peterson Institute for International Economics, est que «7,3 milliards d'euros, soit 93% du total des mesures, viennent de hausses d'impôts et de contributions sociales» pour les deux années à venir, et pas de baisses de dépenses.

Les économies viendront seulement de restrictions sur la possibilité de prendre sa retraite anticipée (360 millions d'euros) et d'une réduction de 200 millions des dépenses de défense, selon des chiffres cités par M. Monokroussos.

Pour le reste, c'est un festival de hausses d'impôts pour 2015 et 2016 : 2,04 milliards d'euros pour la TVA, 2,17 milliards de hausses des cotisations sociales, et surtout, hausse de 2,53 milliards d'euros des taxes sur les entreprises, notamment via un passage de 23 à 26% de l'impôt sur les sociétés l'an prochain.

D'autres taxes, notamment sur le luxe ou les licences télé, compléteraient l'ensemble pour un total de 904 millions d'euros.

Ces propositions «sont beaucoup trop lourdes sur les taxes, et les mauvaises taxes en général, comme celles sur les entreprises, et pas assez sur les vraies réformes», résumait Erick Nielsen d'Unicredit.

Le jus d'un citron déjà pressé 

À la Commission européenne mardi matin, on ne cachait pas s'inquiéter aussi des propositions concernant les entreprises, «qui pourraient envoyer un mauvais signal d'instabilité fiscale».

Ces remarques prennent encore plus de poids s'agissant d'une Grèce déjà frappée par une violente crise, car, soulignait Michael Hewson, de CMC Markets, «il ne faut pas avoir fait de grandes études d'économie pour savoir qu'augmenter les impôts quand la demande baisse, c'est comme tenter d'extraire du jus d'un citron déjà pressé».

La Grèce, à peine sortie d'une récession de six ans qui lui a fait perdre un quart de sa richesse, se trouve «dans une situation conjoncturelle très dégradée depuis le début de l'année» observaient ainsi les économistes de l'OFCE, notamment en raison des incertitudes que font peser sur son économie les interminables discussions avec les créanciers.

Alexander Kritikos, de l'institut de recherches berlinois DIW, notait aussi que tout ce qui rabote le pouvoir d'achat «est bien sûr négatif et que le moment est évidemment très mal choisi». Ce sera «un instrument de démolition du tissu productif du pays», se lamentait la fédération grecque des petites entreprises (GSVEE).

Pour Jacob Funk Kirkegaard, de surcroît, les propositions grecques sont «plus proches des impératifs idéologiques» du premier ministre Alexis Tsipras «que des besoins économiques de la Grèce». Et il se demandait si elles seraient acceptées, venant d'un pays «notoirement connu pour avoir du mal à collecter les impôts».

Matthias Kullas, du Centre de Politique Européenne à Fribourg (Allemagne), trouvait pour sa part les propositions «relativement équilibrées, pénalisant les riches, coupant dans le budget défense», mais reconnaissait aussi que «le citoyen moyen sera mis à contribution».

Mais pour la plupart de ces analystes, l'heure n'est plus à ces débats. «Là, ce qui compte le plus, c'est un accord», remarquait M. Kritikos. «Et attendre d'avoir un meilleur accord n'est plus une option», concluait Bank of America Merrill Lynch.