En serrant la vis aux banques grecques, Mario Draghi recadre les limites de l'action de la BCE, prête à en faire beaucoup pour aider la zone euro mais pas à pallier les carences des gouvernements.

L'institution monétaire de Francfort que préside M. Draghi a annoncé mercredi soir la fin d'un régime de faveur qui permettait aux banques grecques de se refinancer auprès d'elle en fournissant comme garanties des obligations émises par Athènes, des titres de moindre qualité que ceux que la BCE accepte normalement.

Dans la pratique, elle prive ainsi les banques grecques d'un canal de financement - pas le seul, pour ne pas mettre à sec complètement le système bancaire grec - mais surtout elle «accentue brutalement la pression sur la Grèce», commentait Philippe Waechter, de Natixis Asset Management.

La BCE «renvoie la responsabilité aux États européens», a aussi jugé jeudi le président de la République français François Hollande, «et c'est bien légitime».

Pour Bert Van Roosebeke, chercheur au Centre de Politique Européenne de Fribourg (Allemagne), la décision est «un vote de défiance à l'égard du gouvernement grec» et un signe que la BCE «perd patience».

La brutalité du geste a d'autant plus surpris que M. Draghi s'est dépensé sans compter ces derniers mois pour venir en aide à une zone euro menacée par la déflation et à la croissance chancelante.

Il y a deux semaines, il a annoncé le tant attendu «assouplissement quantitatif» (QE), instrument controversé de politique monétaire qui verra la BCE racheter pour au moins 1100 milliards d'euros de dette jusqu'à septembre 2016.

Redessiner les limites

En dégainant cette dernière cartouche de politique monétaire, il était fidèle à sa promesse énoncée en 2012 de «tout faire» («whatever it takes») pour maintenir l'intégrité de la zone euro.

M. Draghi a doublé toutes ses annonces de politique monétaire des dernières années de pressants appels aux gouvernements européens à maintenir le cap des réformes et de la consolidation budgétaire intelligente. Mais «quand on décide d'un 'QE', je crois que ce n'est pas très important ce qu'on dit dans la deuxième partie de la phrase», analyse pour l'AFP M. Van Roosebeke.

Du coup le «whatever it takes» a été compris comme absolu et inconditionnel par beaucoup, forçant M. Draghi à en redessiner aujourd'hui les limites. La BCE veut rester «dans le cadre de son mandat», le maintien de la stabilité des prix, pour M. Van Roosebeke, «ne veut pas se retrouver coincée dans la bataille entre l'Eurogroupe et le gouvernement grec».

Le nouveau gouvernement grec mené par Alexis Tsipras veut s'affranchir des aides internationales, en finir avec la rigueur et les réformes douloureuses et renégocier la dette de son pays. Il comptait sur la BCE pour continuer à financer ses banques, lui accordant les coudées franches le temps des négociations avec ses partenaires européens.

Mais le conseil des gouverneurs exige qu'Athènes s'entende d'abord avec ses partenaires européens sur une fin ordonnée du programme d'aide en cours - qui expire fin février -, et éventuellement un nouveau programme.

L'indépendance en question

La démarche de la BCE «est risquée», commentait Frederik Ducrozet, économiste de Crédit Agricole IB, tant ses conséquences sur le système bancaire et le financement de l'État grec sont difficilement appréciables. Mais «c'est un geste politique calculé», selon lui.

Et qui pour certains va trop loin, pour une banque centrale qui se targue d'une absolue indépendance.

«En apparence le geste préventif de la BCE protège son indépendance, mais elle donne aussi le ton du jeu politique de la semaine, bien au-delà du mandat d'une banque centrale», juge Silvia Merler de l'institut Bruegel.

La décision «a une dimension politique», reconnaissent de leur côté les analystes de Natixis, mais «il faut se demander si la BCE aurait été indépendante si elle en avait décidé autrement». Elle ne pouvait pas paraître céder aux demandes grecques.

«Elle en a déjà fait tellement, elle doit se battre pour montrer qu'elle reste indépendante, et dresser une ligne» à ne pas franchir, analyse aussi M. Van Roosebeke.