Atterrir dans une clairière ou sur un bout de route qui comprend un virage ne fait pas peur à Océan de Rancourt. Il y a maintenant trois ans que ce pilote français vole en République démocratique du Congo (RDC). Aux commandes, il a le contrôle; les problèmes viennent habituellement d'ailleurs.

Aucun des 54 aéroports du pays n'est certifié par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), dont le siège est à Montréal. Les infrastructures d'aide à la navigation «fonctionnent peu ou pas» et la formation du personnel est «déficiente», estime le pilote de 35 ans.

Il se souvient d'un incident révélateur, survenu lors d'une approche pour un atterrissage à Kinshasa, la capitale. «On m'a donné l'instruction de descendre à 2500 pieds [d'altitude], mais le sol était à 3200 pieds!» S'il avait obtempéré sans se poser de question, il se serait écrasé.

Désormais aux commandes de l'un des deux Cessna Grand Caravan d'AirServ affrétés par Médecins sans frontières dans les Kivu, à l'extrême est du Congo, Océan de Rancourt ne fréquente plus les grands aéroports du pays, mais il doit tout de même rester sur ses gardes.

En l'absence d'émetteurs au sol, il faut voler à vue. Et de jour seulement. De plus, «certains appareils n'ont pas de transpondeur permettant de les détecter», confie-t-il sur la piste de l'aéroport de Bukavu, où La Presse l'a rencontré.

La difficulté d'obtenir des prévisions météorologiques précises complique aussi le transport aérien. En pleine forêt tropicale, la météo est «particulière», note Océan de Rancourt. «Les orages arrivent très vite.» Dans le doute, le principe de précaution s'applique. «Quand on ne sait pas, on attend.»

Piloter une entreprise dans ce contexte n'est pas aisé non plus. Jonathan Ouellet en sait quelque chose. Le Québécois de 37 ans est le directeur des opérations aériennes d'AirServ. Ce petit transporteur aérien basé en Ouganda est une filiale d'un organisme à but non lucratif américain, qui se consacre au transport aérien humanitaire.

Ses clients sont des organisations internationales, dont les normes de sécurité sont très strictes. Aucun des transporteurs de la RDC, qui figure sur la liste noire des compagnies aériennes de l'Union européenne, ne peut y répondre.

Tracasseries administratives

«Il y a des aéroports où on ne peut pas aller», explique Jonathan Ouellet. En brousse, par exemple, il peut arriver que la qualité du carburant laisse à désirer. Les pilotes transportent donc toujours avec eux un petit kit d'analyse. «On met le carburant dans un bocal en verre avec une pâte spéciale, on brasse et si ça change de couleur, ça veut dire que ce n'est pas de la bonne qualité.»

La situation quant à la sécurité impose aussi parfois des détours, «pour éviter certaines zones, car il y a des gens qui ont du matériel antiaérien», ce qui alourdit évidemment les frais d'exploitation. Au sol, les lenteurs de la bureaucratie ou les fonctionnaires qui font obstruction dans l'espoir d'obtenir quelques billets verts pour accélérer le processus sont monnaie courante.

«Au Congo, quand c'était la guerre civile, il y avait des endroits où on ne pouvait pas aller. Si on venait d'un côté, on ne pouvait pas atterrir de l'autre. Les gens sont suspicieux», se souvient Jonathan Ouellet.

M. Ouellet relève aussi le manque de formation. «Les bons mécaniciens sont plus difficiles à trouver que les pilotes!» N'empêche, tous les ingénieurs et mécaniciens d'AirServ sont africains, ainsi que 8 des 14 pilotes. L'entreprise leur a donné une formation complémentaire.

Ces difficultés sont toutefois vite reléguées au second plan par la nature du travail. «On a le sentiment d'apporter quelque chose», indique Jonathan Ouellet. «Voler pour faire de l'humanitaire, c'était un vieux rêve, lance Océan de Rancourt. Les ONG en ont besoin.»