Une page a été tournée dans l'histoire de la crise financière américaine lorsque la Réserve fédérale (Fed) a refermé mercredi son robinet à liquidités. Cette décision lourde, qui marque une certaine normalisation six ans après l'effondrement de la banque Lehman Brothers, risque d'affecter grandement les économies émergentes déjà en perte de vitesse, soulignent des experts.

Des signes de l'inquiétude à cet égard sont d'ailleurs visibles sur les marchés financiers émergents. En voici deux importants:

- Selon la firme américaine BlackRock, les investisseurs ont retiré depuis la mi-juillet des centaines de millions de dollars - incluant 1,7 milliard US en deux semaines en septembre - des fonds spécialisés investis en Chine, en Europe de l'Est et en Amérique latine notamment. Cette perte de confiance marque un revirement pour les marchés émergents, qui ont surfé sur des torrents de fonds spéculatifs occidentaux (hot money) depuis cinq ans.

- Dans cette foulée, l'indice MSCI/Marchés émergents - un indicateur boursier de référence - accuse un recul d'environ 7% depuis le début septembre, alors que l'indice MSCI/Monde est resté à peu près inchangé malgré la culbute boursière au début d'octobre à Wall Street.

Dans une note économique, Bank of America Merrill Lynch sonne l'alarme, signalant que les marchés émergents en arrachent depuis que la Fed a commencé à sevrer les spéculateurs accros à ses injections de capitaux. Et la situation ne fait qu'empirer avec la baisse des prix des ressources naturelles.

Ressources et billet vert

Or, ces pertes financières pourraient être bien plus qu'une correction passagère. Car les économies émergentes sont, pour la plupart, déjà affaiblies sur le plan économique.

Les mauvais chiffres s'accumulent en particulier cet automne pour la Chine: baisse des investissements étrangers, ralentissement de la production industrielle et des ventes de détail, cinquième mois de repli des prix immobiliers (en septembre)...

«Ces chiffres montrent un ralentissement plus abrupt que prévu en Chine», note la banque Morgan Stanley.

Les pays émergents qui vendent beaucoup de matières premières aux Chinois sont évidemment affectés. Qui plus est, l'Afrique du Sud, la Russie, le Chili, le Brésil et l'Indonésie sont touchés par la chute des prix de l'énergie et des métaux (fer, cuivre, etc.) et par la hausse du dollar américain.

Une nouvelle étude de Capital Economics confirme que les exportations de 19 économies émergentes étaient généralement en baisse au deuxième trimestre, alors que la production industrielle et la consommation de ces mêmes pays touchaient un creux depuis 2009.

Le géant japonais Nomura n'est guère plus rassurant. D'après le holding financier, les prix des ressources naturelles - selon un panier de 19 biens (denrées alimentaires, pétrole/gaz et métaux) - pourraient baisser de 10% au quatrième trimestre. Cela s'ajouterait au plongeon de 12% subi cet été (du 1er juillet au 30 septembre). Autrement dit, «ça r'garde mal», vont conclure beaucoup d'investisseurs.

Économiste principal chez Nomura, ex-économiste pour la Banque centrale d'Australie et grand expert de l'Asie, Rob Subbaraman résume ainsi les dangers qui guettent les économies émergentes.

«Le boom des ressources des 10 dernières années a suscité une forte croissance économique [...], alors une baisse soutenue des prix des ressources pourrait faire chuter la croissance et entraîner une instabilité politique.»

Pour le moment, les investisseurs sont toujours fortement investis dans les obligations des économies émergentes. La raison est simple: celles-ci offrent des rendements élevés qui éclipsent ceux - faméliques - des obligations européennes ou nord-américaines.

Or, maintenant que la Fed a fermé son robinet, que l'argent se fait plus rare et que le charme exotique des pays émergents n'opère plus comme avant, cette stratégie semble plus incertaine.

«Le plus grand danger, c'est une sortie massive de fonds des obligations [des pays émergents]», affirme le gestionnaire de capitaux européen Schroders.

Les investisseurs, pour l'instant, ne savent plus sur quel pied danser, indiquent les entrées et les sorties de fonds enregistrées sur les marchés émergents à la fin octobre, selon Bloomberg.

Mais, pour certains experts, une chose se confirme: l'époque des croissances économiques spectaculaires - et des rendements élevés assurés pour les investisseurs - semble révolue sur la planète émergente.