Fuite des capitaux, le rouble à un creux historique, inflation élevée, économie amorphe... La chute des cours du pétrole sur fond de crise ukrainienne porte un coup dur à la Russie et à son président Vladimir Poutine.

Si les automobilistes en Amérique du Nord se réjouissent de la chute spectaculaire des prix du pétrole cet automne, la Russie et son impétueux président, Vladimir Poutine, ne la trouvent pas drôle.

Lorsque le Kremlin a envoyé des soldats russes en Ukraine, début du mois de mars, le brut flottait confortablement au-dessus des 100$US le baril. De véritables munitions pour un belliqueux chef d'État riche en pétrole...

Or, au milieu de la semaine dernière, le pétrole pataugeait péniblement au-dessus des 81$US. Un plongeon de 25% depuis son sommet sur un an (107,95$US). De l'avis des experts, c'est un coup très dur pour l'État russe, qui retire la moitié de ses revenus des ventes de brut et de gaz naturel.

À tel point qu'un proche de Poutine, le ministre de l'Économie Alexeï Oulioukaïev, a craqué jeudi en s'alarmant de la «situation explosive» de l'économie russe. Bref, la panique gagne le Kremlin.

Et pour cause. La glissade de l'or noir et les sanctions occidentales sur fond de crise ukrainienne ont grandement affaibli la Russie, et ce, en quelques mois seulement.

Creux historique pour le rouble

La semaine dernière, la devise russe a franchi le seuil des 40 roubles pour un dollar américain (contre 33 pour 1 il y a un an). C'est un creux historique pour cette monnaie, qui a subi un recul comparable par rapport à l'euro.

«La chute des cours du brut, des nouvelles inquiétantes de l'Ukraine et la crainte de nouvelles sanctions font pression sur le rouble», confirme dans une note financière Natalia Orlova, économiste chez Alfa Bank, de Moscou.

Le plongeon du rouble accentue la hausse des prix en Russie, surtout les importations qui coûtent jusqu'à 20% plus cher aux Russes... s'ils arrivent à trouver des biens étrangers épargnés par l'embargo décrété par Moscou sur plusieurs produits occidentaux.

Déjà, l'inflation pointe son vilain nez et passerait au-dessus des 8% d'ici à la fin de l'année. Un niveau intolérable pour les autorités bancaires, selon le Fonds monétaire international (FMI).

Aussi les milieux d'affaires sont très inquiets. Les analystes de VTB Capital, une grande banque d'affaires russe, redoutent la réaction des ménages. Ces derniers pourraient être tentés de convertir leurs économies en devises étrangères, au risque de fragiliser le système bancaire.

Des milliards envolés

Pourtant, la Banque centrale russe (BCR) a déployé des moyens énormes pour freiner la glissade du rouble, dépensant pas moins de 55 milliards US depuis l'été pour racheter la monnaie nationale. Mais rien n'y fait.

Ses réserves ont fondu de 10%, à 450 milliards US, selon la banque BNP Paribas, ce qui est un bon coussin. Toutefois, les investisseurs craignent le moment où la BCR cessera d'intervenir sur le marché des changes, ce qui pourrait provoquer un décrochage de la monnaie russe.

Sans compter que la fuite des capitaux hors de la Russie, qui a débuté dès les premières frictions en Ukraine, s'accélère et atteindrait les 100 milliards US cette année, de l'avis même de la BCR. La Société Générale, de Paris, avance plutôt que 125 milliards US ont été sortis promptement du pays en quelques mois.

Outre les géants énergétiques Gazprom et Rosneft, qui ont d'amples liquidités, les sociétés privées russes peinent à trouver du financement en raison des restrictions financières occidentales. Ces mêmes entreprises doivent rembourser 47 milliards US d'ici à la fin de 2014 à leurs créanciers internationaux, calcule l'agence Bloomberg. Seule la banque centrale peut donc les aider.

Prévisions à la baisse

Dans ce contexte, le FMI vient de réduire ses prévisions de croissance de l'économie russe à 0,2% cette année et à 0,5% en 2015. Une catastrophe pour une vedette du BRIC habituée à une croissance de 6 ou 7% par an il n'y a pas si longtemps.

«Les tensions géopolitiques accroissent les incertitudes et pèsent sur la confiance et l'investissement», avertit le FMI, dont les projections pourraient encore être abaissées si le pétrole reste à son niveau actuel.

Seule bonne nouvelle: les recettes de l'État sur les ventes d'hydrocarbures sont en partie garanties en dollars américains, ce qui atténuera le choc sur les finances publiques.

Or, il est très probable que la Banque centrale russe augmente son taux directeur pour rendre les placements en roubles plus attractifs. Un taux qui est déjà supérieur à 8%. On risque ainsi de pénaliser encore l'investissement, les consommateurs et la croissance.

Bref, l'économie russe est au bord du précipice, les pieds dans une grosse flaque de pétrole.