Ce pays est «dans son déclin», en dit un économiste. C'est un «échec», en rajoute un autre. La France? L'Italie? Non, ces commentaires sévères visent... l'Allemagne. Toujours un modèle pour ses voisins, la première puissance européenne inquiète de plus en plus d'Allemands.

L'économie allemande est en panne. Avec les ennuis bien connus de ses voisins, on se doutait que l'Allemagne allait ralentir cet été. Son puissant moteur a finalement calé.

La première économie d'Europe, contre toute attente, s'est contractée de 0,2% au deuxième trimestre, annonçait récemment l'office des statistiques Destatis. Si bien que des experts croient possible une récession, définie par deux trimestres consécutifs de contraction, et ce, dès cette année.

Certes, les signes inquiétants se multiplient ces temps-ci:

> Le mois dernier, le nombre de chômeurs en Allemagne a augmenté, a révélé la semaine dernière l'Office du travail, avec une hausse de 13 000 à 2,9 millions, alors que les économistes attendaient une baisse;

> L'important indice du climat des affaires, mesuré par l'institut Ifo, a reculé en septembre pour un cinquième mois consécutif. «Le moteur de l'économie allemande ne tourne plus rondement», ajoute même l'Ifo;

> Le commerce extérieur, principal moteur économique du pays, ralentit. D'avril à juin, les importations ont grimpé plus vite que les exportations, selon Destatis.

On réalise donc que l'Allemagne souffre beaucoup de la crise en Ukraine, estiment les experts, ce qui nuit à la confiance des ménages et des entreprises. De plus, les sanctions occidentales contre la Russie ont freiné la demande des pays de l'Est. Puis, il y a la France et les autres voisins à l'ouest du Rhin qui ne font rien pour inciter les usines allemandes à hausser la cadence.

Or, les problèmes de l'Allemagne ne sont pas qu'un accident de parcours. Le problème est plus grave, plus profond, signalent des observateurs et des économistes réputés.

Chant du cygne?

«L'économie de ce pays est un échec. Sa croissance depuis l'an 2000 est plus faible que la moyenne européenne. Les salaires y ont progressé moins vite, et la pauvreté, en hausse, touche un enfant sur cinq.»

C'est ainsi que s'amorce le portrait de la quatrième économie mondiale, dressé par l'économiste allemand Marcel Fratzscher, dans un ouvrage, Allemagne, l'illusion (Die Deutschland Illusion), qui vient de paraître. Même si le modèle allemand reste l'envie de plusieurs pays, le président de l'Institut de recherches DIW, de Berlin, remet les pendules à l'heure et dit que son pays est «en déclin» et «vit sur ses acquis».

D'autres aussi sonnent l'alarme. Olaf Gersemann, chroniqueur au Die Welt, l'un des trois plus grands quotidiens allemands, titrait ainsi un article récent: «Le dernier grand hourra de l'Allemagne arrogante». L'économie va peut-être connaître deux années de croissance relativement plus rapide que ses voisins - 2% par an d'ici à 2016. Mais, c'est son chant du cygne, dit-il en substance.

Quel le problème? En fait, il y en a plusieurs. Vieillissement de la population, sous-investissement de l'État et des entreprises, perte de vitesse du commerce mondial... «L'économie allemande a vécu le meilleur de ce qu'elle pouvait escompter», rajoute l'économiste indépendante Véronique Riches-Flores.

Toutes catégories confondues, les investissements en Allemagne sont passés de 23% du produit intérieur brut (PIB) au début des années 1990 à 17% aujourd'hui, soit moins que la moyenne des pays industrialisés (20%). Pour équilibrer ses finances, depuis 10 ou 15 ans, Berlin a sabré ses investissements au moment où ceux des entreprises étaient eux-mêmes en berne. L'économie va en pâtir, tôt ou tard.

Les succès actuels du pays viennent surtout de sa puissante industrie automobile et de ses fabricants de machines-outils, qui ont profité de l'essor des pays émergents.

Mais la Chine et les autres comètes du BRIC ont ralenti. Et l'économie domestique sera incapable de prendre le relais avec toutes ces têtes grises qui se multiplient. En 2050, l'Allemagne - avec seulement 700 000 naissances par an, soit deux fois moins que dans les années 60 - ne sera que la troisième nation d'Europe de l'Ouest sur le plan démographique, derrière le Royaume-Uni et la France, affirme M. Fratzscher.

Bref, le fameux modèle allemand ne suscite plus seulement des éloges. Plusieurs prêchent pour une réforme en profondeur, en commençant par des investissements publics massifs qui iraient à l'encontre de la politique d'austérité si chère à la chancelière Angela Merkel.

Même le Fonds monétaire international (FMI), d'ordinaire allergique aux dépenses publiques, n'a pas hésité mardi à écorcher la rigueur budgétaire à la manière Merkel. Pour redonner un élan à l'économie mondiale, «c'est le bon moment pour donner un coup d'accélérateur sur les infrastructures», écrit le FMI dans un rapport destiné aux gouvernements. Autrement dit, oubliez la recette allemande.