Nos finances publiques sont en désordre, notre productivité traîne de la patte et nos acquis sociaux sont menacés. À qui le Québec peut-il se comparer pour mettre de l'ordre dans ses affaires? Sur notre radar est apparue la Finlande. Premier volet d'une grande série de notre chroniqueur et envoyé spécial.

Une loi 101 pour le finnois?

«Welcome to Helsinki». À l'aéroport, la première affiche officielle qui accueille les touristes est unilingue anglaise. Les publicités des grandes entreprises y sont également toutes rédigées dans la langue de Shakespeare.

Suis-je dans une ex-colonie britannique? Détrompez-vous, cette révérence à l'anglais est plutôt le signe du grand pragmatisme des Finlandais, conscients que leur langue n'est parlée que par 5,6 millions d'habitants. Partout ailleurs dans la capitale, les affiches sont écrites seulement dans les deux langues de la Constitution, soit le finnois et le suédois.

La deuxième langue est toutefois contestée par de nombreux Finlandais, puisque seulement 5% des habitants sont suédophones. Au Québec, il y a la loi 101, qui impose le français dans l'affichage et l'éducation. En Finlande, des citoyens revendiquent le droit de ne plus obliger leurs enfants à suivre des cours de suédois à l'école, préférant l'anglais.

Dans la rue, les jeunes peuvent d'ailleurs presque tous nous répondre en anglais, mais disent avoir oublié le suédois. «Pakkoruotsi pois», lit-on sur de petites affiches placardées en ville, ce qui signifie «Supprimez le suédois obligatoire». Les élus doivent se prononcer prochainement sur le sujet.

Le Québec a souvent été comparé à la Suède ou à la France, mais c'est probablement avec la Finlande que notre système a le plus de ressemblances. Cette région nordique, dominée par l'hiver, a été longtemps sous le joug des Suédois et des Russes. La Finlande a acquis son indépendance de la Russie en 1917, mais c'est après l'impitoyable guerre contre les Soviétiques (1939), surtout à partir des années 60, que la Finlande a connu sa véritable «révolution tranquille».

Avant d'y parvenir, la Finlande a dû plier l'échine face à l'Union soviétique. En plus de lui payer une lourde compensation pour la guerre, les Finlandais n'avaient d'autre choix que de commercer avec ce voisin communiste, dont ils partageaient 1340 km de frontière, et d'accepter des compromis difficiles.

Suédophones et Finlandais

«Les Finlandais suédophones ont souvent été perçus par la majorité comme un groupe bien nanti et élitiste. De fait, en proportion de sa taille, ce groupe a une influence considérable sur le pouvoir économique et politique», explique André Noël Chaker, un Québécois exilé en Finlande, dans son livre Le miracle finlandais.

Constat semblable de Jean Taillon, un ingénieur natif du Lac-Saint-Jean, qui s'est forgé une carrière en Finlande au milieu des années 80. «Il y a quelques années, les suédophones étaient à l'image des anglophones de Montréal», dit M. Taillon, qui nous accueille dans un bureau qui donne sur une mer Baltique à perte de vue.

De nombreux suédophones se considèrent de véritables finlandais. C'est le cas du professeur d'université à la retraite Jan Otto Andersson, de la ville de Turku, heureux de nous montrer la statue d'Adolf Ivar Arwidsson, cette personnalité suédophone marquante de la Finlande. «Nous ne sommes désormais plus Suédois, nous ne voulons pas être Russes, soyons donc Finlandais», avait déclaré l'influent journaliste, dans la foulée de la séparation avec la Suède, en 1809.

Fait à noter, la Finlande n'est pas un pays scandinave, contrairement à la Suède, au Danemark ou à la Norvège. Les trois pays scandinaves ont une langue aux origines communes, tandis que celle des Finlandais est plus proche de l'estonien et du hongrois. Les politiques économiques et sociales des Finlandais ressemblent néanmoins à celles de leurs voisins scandinaves.

Deux nations, deux destins communs

La dualité linguistique n'est pas le seul point commun du Québec et de la Finlande. La richesse relative des deux nations, leurs défis économiques et la force de leurs ados en mathématiques se ressemblent. Même le hockey nous lie.

D'abord, la Finlande a un niveau de richesse moyen semblable à celui du Québec. La production annuelle de biens et services atteint presque 47 000 $ US par habitant. Au Québec, ce niveau est d'environ 44 500 $ US, comparativement à plus de 63 000 $ US aux États-Unis. Cette comparaison du produit intérieur brut (PIB) par habitant tient compte du pouvoir d'achat relatif des ménages.

Parmi les principaux secteurs industriels de la Finlande se trouvent la forêt et les hautes technologies, comme au Québec. Et ces deux secteurs ont aussi été très malmenés. En Finlande, le secteur électronique, avec son très dominant Nokia, accaparait 6 % du PIB en 2000, alors qu'il ne vaut plus que 1 % aujourd'hui.

Les Finlandais sont farouchement égalitaires. L'école est gratuite, même à l'université, et le régime de retraite est accessible à tous. Le taux de pauvreté est plus faible qu'ailleurs, comme les inégalités sociales. « La Finlande est capitaliste dans un système socialiste », dit Jean Taillon, aujourd'hui directeur commercial pour la firme Andritz, à Helsinki.

Le Québec n'est pas aussi égalitaire, bien sûr. Sa culture, son environnement économique et ses moyens rendent la chose improbable. N'empêche, la province se démarque assez nettement du Canada anglais et des États-Unis. Par exemple, le taux de pauvreté des familles biparentales (2,4 %) est semblable à celui de la Finlande, soit deux fois moindre que dans l'ensemble du Canada et quatre fois moindre qu'aux États-Unis (voir tableau).

Grands amateurs de hockey, comme les Québécois, les Finlandais ont réussi à placer plusieurs joueurs dans la Ligue nationale de hockey (LNH), le plus illustre au Québec étant Saku Koivu. Leur grande force est leur pépinière de gardiens de but, qui est parvenue depuis 10 ans à devancer l'autre peuple dominant dans le domaine... le Québec.

Autre élément commun: les résultats enviables des adolescents aux tests de mathématiques et de lecture (PISA). Aux plus récents tests internationaux, en 2012, les ados québécois ont été les seuls, avec les Finlandais, à talonner les Asiatiques, loin devant les Français, les Américains, les Allemands et les autres Canadiens.

Les Finlandais et les Québécois font aussi face à un grand défi commun: les deux gouvernements en sont à leur sixième déficit d'affilée et ils doivent combler un trou équivalant à plus de 3,0 milliards de dollars. « La Finlande a de gros problèmes structurels », constate Jean Taillon.

Les deux régions ont certes plusieurs différences. Leurs infrastructures sont impeccables. Et bien que les Finlandais travaillent le même nombre d'heures par an que les Québécois, ils sont plus productifs. Ainsi, leur économie a crû passablement plus vite que la nôtre depuis 25 ans, bien que leur population soit, elle aussi, vieillissante. Leur productivité s'explique notamment par la recherche et développement (3,6 % du PIB contre 2,6 % au Québec et 2,0 % dans l'ensemble du Canada).

La qualité de vie est très importante dans ce pays nordique, mais les Finlandais sont assidus au travail et pragmatiques. « Ce sont des gens fiers, inventifs. Ils sont très travaillants. Quand ils ont une job à finir, ils la finissent. En Suède, ils sont souvent en pause », raconte Richard Verreault, président de GLV, de Montréal, qui a une filiale en Finlande.

PHOTO TOMMY SETALA, BLOOMBERG