Le yuan, dont l'usage ne cesse de s'étendre au-delà des frontières chinoises, pourrait côtoyer un jour le dollar parmi les devises constituant les réserves des grandes Banques centrales, préviennent des experts, mais Pékin devra pour ce faire intensifier ses réformes financières.

La convertibilité du renminbi --ou «monnaie du peuple», autre nom du yuan-- est encore très contrôlée par les autorités communistes, soucieuses d'éviter des flux de capitaux non maîtrisés, et son taux de change ne peut fluctuer que dans une marge étroite.

Mais Pékin ne cache pas son intention de voir sa monnaie occuper un rôle croissant à l'international, à mesure que sont entreprises d'ambitieuses réformes pour libéraliser les transactions financières dans le pays.

Ces réformes, au calendrier incertain, tardent cependant à se concrétiser pleinement, au grand dam de Washington: les «progrès sur l'agenda de réformes de la Chine» figuraient ainsi très haut au programme des discussions mardi à Pékin entre le secrétaire américain au Trésor Jacob Lew et le premier ministre chinois Li Keqiang.

«Il est important que la Chine réitère de façon plus manifeste son engagement à aller vers des taux de change déterminés par le marché et un système de convertibilité plus transparent», a souligné M. Lew.

Les efforts de Pékin se sont surtout concentrés sur Hong Kong, région administrative autonome, pour en faire un centre «offshore» pour les échanges sur le yuan --avec notamment la possibilité d'y émettre des obligations d'entreprise libellées en renminbi.

Un accord annoncé en avril devrait par ailleurs permettre aux investisseurs de Chine continentale d'utiliser leurs yuans pour investir sur la Bourse hongkongaise.

La zone franche inaugurée l'an dernier à Shanghai devrait également constituer un «laboratoire» en termes de libre convertibilité du yuan, ont indiqué les autorités.

«Diversification»

«Clairement, le renminbi a le vent en poupe. Sur son internationalisation (...) la trajectoire est très nette», observe Eswar Prasad, professeur à la Cornell University aux États-Unis.

«Si la Chine continue d'appliquer des réformes financières et économiques, le yuan deviendra une devise de réserve viable et potentiellement importante» pour le reste du monde, estime M. Prasad, qui a dirigé dans le passé la division Chine du Fonds monétaire international (FMI).

Selon lui, certaines Banques centrales --dont celles du Nigeria, du Chili, de la Corée du sud, mais aussi du Japon -- ont d'ores et déjà des yuans dans leurs coffres, témoignage de l'importance des relations économiques et commerciales de ces pays avec le géant asiatique.

Certes, en raison de la mainmise de Pékin, le yuan est bien moins volatil que la plupart des grandes devises mondiales. Il s'est sensiblement apprécié en 2013 face au dollar, avant de perdre du terrain ces derniers mois.

Les analystes attribuent ce récent repli à une tentative de la Banque centrale de contrer l'activité des fonds spéculatifs misant précisément sur l'appréciation du yuan.

Le taux de change ne peut évoluer chaque jour que de 2% de part et d'autre d'un taux déterminé quotidiennement par la Banque centrale --un «taux moyen» qui «reflète la direction souhaitée par le gouvernement et ses intentions», explique Jiang Shu, analyste chez Industrial Bank, une banque chinoise.

La Chine ne peut donc guère rivaliser avec l'indépendance et la transparence des institutions américaines: à cet égard, le yuan peut devenir un outil de «diversification» pour des réserves de changes, mais il est peu probable qu'il se hisse au statut de «devise de réserve», pronostique Eswar Prasad.

«Sérieuses inquiétudes»

La dépréciation du yuan depuis le début de l'année a d'ailleurs été très mal accueillie par certains grands partenaires commerciaux de la Chine, qui estiment que la monnaie était, même avant ce repli, largement sous-évaluée et favorisait indûment les exportateurs chinois.

«Même s'il y a une volonté évidente (du gouvernement) d'accroître la volatilité du renminbi dans les deux sens, les récentes évolutions soulèvent des inquiétudes particulièrement sérieuses», s'est alarmé le Trésor américain en avril.

Pékin, lui, juge «normales» ces fluctuations: «Dans l'histoire de la finance, on n'a jamais vu de devise s'apprécier continûment sans jamais connaître de dépréciation», rétorque Guan Tao, un responsable de l'administration en charge du marché des changes.

Au-delà des écueils, «le renminbi attire. L'économie chinoise pourrait rattraper les États-Unis d'ici 10 à 15 ans, alors attendez-vous à voir les investissements de long terme se positionner en conséquence», souligne M. Prasad.