À un mois de la grande fête planétaire du soccer, les Brésiliens ont plus ou moins le coeur à la célébration dans un pays où pourtant, la vie s'arrête lorsque le ballon rond est mis en jeu.

Les frustrations et les désillusions sont grandes au Brésil, qui avait pourtant cru, il y a quatre ans, avoir trouvé une voie plus rapide vers le club sélect des pays développés.

«En 2010, le monde de la finance n'avait que de bonnes choses à dire sur le Brésil. C'était le marché où il fallait investir», se rappelle l'économiste Aloisi Campelo, de la Fondation Getúlio Vargas.

Les investisseurs s'y bousculaient alors que 40 millions de personnes étaient sorties de la pauvreté pour accéder à la classe moyenne, grâce aux programmes sociaux mis en place par l'ex-président Lula da Silva lors de ses deux mandats.

Le bolide sud-américain avait terminé cette année financière avec une croissance phénoménale de 7,5%, s'attirant l'admiration mondiale devant ce qu'on appelait le «miracle brésilien».

Lorsque l'économiste Dilma Rousseff, dauphine et «dame de fer» de Lula, a revêtu l'échappe présidentielle le 1er janvier 2011, des dizaines de chefs d'État dont Stephen Harper, se sont succédé au Palais présidentiel de Brasília.

En pleine crise mondiale, les premières économies du monde faisaient toutes les yeux doux au Brésil, dans l'espoir d'accroître leurs échanges commerciaux et de relancer leurs propres économies.

Mais les matins ont vite déchanté au pays de la Samba...

Le Brésil s'est durement heurté aux limites de son modèle de développement par l'absence de leadership politique dans plusieurs secteurs névralgiques. Dilma Rousseff aurait, ni plus ni moins, regardé son bolide foncer dans le mur.

«Les choses allaient tellement bien, les Brésiliens consommaient comme jamais, les investisseurs se bousculaient et le gouvernement a jugé que c'était correct de laisser les choses comme elles étaient, relate l'économiste. Mais en vérité, il y avait énormément de correctifs à apporter, surtout face à l'inflation et la situation fiscale du pays.»

De 7,5% en 2010, la croissance du Brésil est passée à 2,7% en 2011 pour chuter à 0,9% en 2012. Des centaines d'investisseurs ont fui le pays, refroidis entre autres par les politiques protectionnistes du parti au pouvoir et par la complexité des lois fiscales.

Actuellement, les taux d'intérêt dépassent les 10%. La classe moyenne est surendettée et l'inflation, hantise nationale, avoisine les 6%. Pour finir le plat en février, l'agence Standard and Poor's a abaissé la note de crédit du Brésil à BBB-.

Déjà surtaxés, les Brésiliens se plaignent de ne pas obtenir de services de qualité en échange des impôts payés, principalement en éducation, en santé et en transports.

Leur pouvoir d'achat a considérablement diminué au cours des deux dernières années, au point de les faire sortir par millions dans les rues il y a presque un an, pour décrier une augmentation de 20 centimes des titres de transports en commun.

Corruption endémique, bureaucratie fiscale pharaonique et infrastructures déficientes sont les principaux talons d'Achille du géant sud-américain. En infrastructures par exemple, plusieurs aéroports et terminaux portuaires du pays, de même que le réseau routier vétuste et surchargé, n'ont pas bénéficié des grands projets d'expansion.

Dans un pays où le transport ferroviaire n'existe pas, les camions de marchandises peuvent attendre jusqu'à une semaine en file indienne sur des dizaines de kilomètres aux abords des autoroutes, avant de voir leur cargaison déchargée dans les ports.

On rajoutant sur les routes les millions de voitures que la nouvelle classe moyenne a soudainement eu les moyens de s'acheter depuis 10 ans, les autoroutes se sont transformées en stationnements, affectant sérieusement la productivité déjà problématique.

«Le Brésil avait cruellement besoin d'améliorer ses infrastructures à la grandeur du pays, pas seulement dans les 12 villes hôtes de la Coupe du monde», note Aloisi Campelo.

«Le gouvernement a commencé à le faire en 2013 alors qu'en fait, c'est Lula qui aurait dû démarrer ces chantiers lors de son deuxième mandat en 2007. Ça aurait soutenu la croissance économique enregistrée en 2010», insiste l'expert de cet institut d'études économiques.

Pour le politologue André César, Lula a peut-être manqué de vision en infrastructures, mais il est tout de même le grand argentier du «miracle brésilien». Ses réalisations sociales et économiques font de lui le politicien le plus marquant de l'histoire moderne brésilienne.

«C'est tout le contraire de Dilma qui est économiste de formation, mais qui n'a pas les aptitudes politiques pour mener à bien ses idées. La présidente est en très grande partie responsable de la dégringolade de l'économie brésilienne en ayant été incapable de rallier les 10 partis de sa coalition pour enclencher des réformes majeures.»

En octobre, les Brésiliens seront appelés aux urnes lors des élections présidentielles. Déjà, politiciens, analystes et économistes s'entendent sur l'urgence d'enclencher des réformes majeures pour relancer le bolide.

Dilma Rousseff, qui était crédité de 47% d'appui l'an dernier, vient de voir ses intentions de vote chuter à 37% au début du mois. Il n'y a pas une journée qui passe au Brésil sans que quelqu'un réclame le retour de Lula. Mais ce dernier a fermé la porte et appelle à la réélection de sa dauphine.

«Il semble assez clair que les années 2015 et 2016 seront des années difficiles pour les Brésiliens avec les réformes qui doivent être faites. La réélection de Dilma au premier tour est maintenant loin d'être acquise», croit le politologue.

Les politiciens vont regarder avec un très grand intérêt la finale de la Coupe du monde le 13 juillet. Ce sera crucial pour l'humeur déjà massacrante des Brésiliens et ça donnera le ton pour les mois à venir.

Si le Brésil ne remporte pas la Coupe du monde sur son territoire, les élus craignent que la grogne atteigne des sommets inégalés.

La Coupe du monde la plus chère de l'histoire

De toutes les Coupes du monde, depuis la première en 1930 en Uruguay, celle du Brésil remporte la palme de la plus chère de l'histoire.

Quinze milliards de dollars. C'est le chiffre qui circule dans les corridors du Congrès brésilien, sur la facture totale du Mondial.

Il y a sept ans, lorsque le président Lula da Silva avait insisté auprès de la FIFA pour que la Coupe du monde se tienne dans 12 villes plutôt que 8, ce dernier avait promis aux Brésiliens que la plupart des dépenses seraient assumées par le secteur privé. Ce n'est pas ce qui s'est produit. L'État a financé 99% des dépenses pour l'évènement.

Le gouvernement brésilien se défend en disant qu'une très grande partie des 15 milliards a servi à améliorer les aéroports, les ports et la mobilité urbaine dans un pays qui accuse un énorme retard dans ce domaine.

À ce jour, trois des douze stades ne sont toujours pas terminés. Des ouvriers se relaient aussi sur plusieurs quarts de travail pour terminer les travaux de certains aéroports et pour lancer de nouvelles lignes de transports en commun. L'aéroport de Fortaleza ne sera pas prêt. On est en train de monter des tentes qui serviront de terminal temporaire.

L'on s'attend donc à ce que la facture finale dépasse les 15 milliards.

Quatre milliards ont été investis pour la démolition, la rénovation ou la construction des 12 stades dans le pays, alors que 3,4 milliards sont allés à l'agrandissement des aéroports des villes hôtes et de certains ports. Le reste est passé en grande partie dans l'amélioration des transports en commun de même que dans les télécommunications, la sécurité et la promotion du tourisme.

L'État a aussi dû effectuer les investissements suivants au préalable, pour assurer la sécurité : 

• Construction de 12 centres de contrôle de la sécurité dans chacune des villes qui sont reliées et qui reçoivent des images en direct depuis les caméras de surveillance installées. Tout ça est acheminé et relié à un centre de commandement à Brasília.

• Achat de drones pour survoler les enceintes sportives et les lieux de rassemblement.

• 240 millions de dollars pour louer des tentes, des détecteurs à rayons X et le personnel nécessaire dans les 12 villes hôtes pour fouiller les partisans avant leur entrée dans les enceintes.

4 milliards, 12 stades

SALVADOR - Estádio Fonte Nova

Inauguré le 7 avril 2013

Capacité: 48 747 places

Coût: 338 millions

BRASILIA - Estádio Nacional Mané Garrincha

Inauguré le 18 mai 2013

Capacité: 70 064 places

Coût: 773 millions

RIO DE JANEIRO - Estádio Mário Filho (Maracanã)

Inauguré le 2 juin 2013

Capacité: 78 639 places

Coût: 593 millions

SÃO PAULO - Estádio Itaquerão

Inauguration prévue le 15 mai

Capacité: 69 160 places

Coût: 494 millions

BELO HORIZONTE - Estádio Magalhães Pinto (Mineirão)

Inauguré le 3 février 2013

Capacité: 62 547 places

Coût: 326 millions

MANAUS - Arena da Amazônia

Inauguré le 9 mars 2014

Capacité: 42 374 personnes

Coût: 329 millions

CUIABA - Arena Multiuso Pantanal

Inauguration prévue le 21 mai

Capacité: 42 968 places

Coût: 280 millions

RECIFE - Arena Pernambuco

Inauguré le 14 avril 2013

Capacité: 44 248 places

Coût: 250 millions

FORTALEZA - Estádio Governador Plácido, Castelo Branco (Castelão)

Inauguré le 27 janvier 2013

Capacité: 64 846 places

Coût: 292 millions

NATAL - Arena das Dunas (construction neuve)

Inauguré le 26 janvier 2014

Capacité: 42 086 personnes

Coût: 198 millions

PORTO ALEGRE - Estádio José Pinheiro Borda (Beira-Río)

Inauguré le 6 avril 2014

Capacité: 48 849 personnes

Coût: 155 millions

CURITIBA - Arena da Baixada

Inauguration prévue le 15 mai

Capacité: 41 456 places

Coût: 131 millions