Un pavillon à moitié construit trône au sommet d'une colline, à Ordos, en Mongolie-Intérieure. Cette cité érigée en plein milieu du désert à la fin des années 2000 est aujourd'hui considérée comme l'une des plus grandes «villes fantômes» du monde, en raison de sa très faible population.

M. Ren est seul dans sa petite échoppe, entouré de ses sacs et portefeuilles Louis Vuitton contrefaits. Si le vieil homme a décidé d'ouvrir une boutique au troisième étage du Jinchen International Shopping Mall, à Ordos, en plein coeur de la Mongolie-Intérieure, c'est d'abord et avant tout pour se rapprocher de son petit-fils. Certainement pas pour faire fortune.

«Les affaires sont très mauvaises, dit-il avec résignation. J'ai réussi à vendre un sac avant hier, mais c'est rare.»

En ce mercredi matin de février, quelques magasins sont ouverts, mais les clients sont invisibles. Le scénario se répète - à la puissance 10 - de l'autre côté de la rue, où se trouve un autre centre commercial beaucoup plus grand. Les sept étages et la vaste majorité des 500 locaux ultramodernes du Huneng Shopping Mall sont déserts et accumulent la poussière. Une poignée de voitures sont garées dans l'immense stationnement : elles appartiennent aux employés.

Ces deux centres commerciaux sont à l'image de la ville: neufs et étincelants mais étrangement vides. Le gouvernement local a érigé le quartier de Kangbashi - ou «nouvel Ordos» - à partir du milieu des années 2000, en plein coeur des steppes rougeâtres de la Mongolie-Intérieure. On y a construit des dizaines et des dizaines de tours, prêtes à accueillir jusqu'à 1 million de personnes, selon certaines estimations. Mais à peine 60 000 vivraient ici aujourd'hui.

«Les autorités pensaient que les usines viendraient mais sans emplois, il n'y a pas de résidants, lance M. Ren. Ce fut un échec.»

Un silence envahissant

Le survol d'Ordos est surréaliste. Pendant la descente vers le nouvel aéroport ultramoderne, on aperçoit à perte de vue les sables ondulants du désert de Mu Us. À mesure que l'avion s'approche de sa destination, on voit de plus en plus de mines et d'usines de charbon, qui ont fait la richesse de la région. Puis, on voit un stade gigantesque, une piste de course flambant neuve, un lac artificiel géant. Et enfin, les gratte-ciel. Une véritable forêt.

Trouver un taxi n'a rien de compliqué à la sortie de l'aérogare. Des dizaines de chauffeurs attendent patiemment les rares passagers. La plupart sont d'anciens bergers dont les terres ont été saisies par l'État, en échange d'un dédommagement. Ils font surtout du taxi pour passer le temps.

Une fois en voiture, la sensation de vide est absolue. Sur la longue route qui sépare l'aéroport de Kangbashi, les véhicules sont rarissimes. Une tranquillité qui plaît à Zheng Ping Qiao, chauffeur de taxi de 36 ans.

«Il y a un avantage à Ordos : à part les gens qui passent le balai et quelques voitures, il n'y a personne dans les rues! lance-t-il avec un demi-sourire. La vue est beaucoup plus dégagée qu'à Pékin, mais il y a aussi une lourde solitude ici, parce qu'on est vraiment seuls», affirme Zheng Ping Qiao.

Au centre-ville, en bordure de la grande place stalinienne érigée en l'honneur de Gengis Khan, considéré comme le père de la nation mongole, on retrouve des immeubles d'une audace architecturale surprenante. Il y a un immense musée recouvert de feuilles d'aluminium ; une salle d'opéra en forme de tambour; une bibliothèque aux allures de livres inclinés ; un hôtel cinq étoiles; des centres commerciaux futuristes... Au bout de cette place, un lac artificiel de plusieurs kilomètres de diamètre sépare Kangbashi d'un autre quartier, où se dressent aussi des squelettes de tours inachevées.

Même si les constructions sont denses tout autour de nous, on n'entend que le vent des steppes mongoles souffler - et parfois une voiture. En fermant les yeux, on pourrait se croire en plein coeur de la campagne. Le silence est stupéfiant.

Explications étranges

Partout à Kangbashi, qualifié de plus grande ville fantôme au monde par divers médias, des dizaines d'immeubles flambant neufs demeurent inhabités. À côté des deux centres commerciaux, un complexe d'une vingtaine de tours de 20 étages est ainsi ceinturé d'une clôture d'acier qui commence à rouiller. «C'est pour protéger les immeubles parce qu'il y a des appartements-modèle de ce côté», souligne le gardien de sécurité au moment de notre passage, une explication qui défie toute logique.

Dans le centre des ventes du même projet, un représentant affirme que les 500 appartements du complexe ont tous été vendus, malgré l'absence de tout signe de vie sur les lieux et les terrains en friche. Il dit que personne n'emménagera avant la fin des travaux. D'autres ont des explications différentes - et souvent tout aussi étranges - pour justifier le calme plat de Kangbashi.

Ailleurs en ville, plusieurs promoteurs ont carrément fermé leurs bureaux des ventes, abandonnant derrière eux des immeubles inachevés. Nombre d'entreprises immobilières ont déserté la ville.

Qu'adviendra-t-il d'Ordos? Plusieurs ici pensent voir cette ville rêvée se remplir à moyen terme. Le chauffeur Zheng Ping Qiao l'espère aussi, mais il montre une pointe d'inquiétude. «Si la crise continue comme ça encore quelques années, ça risque de créer des problèmes de société.»

Voyez notre dossier complet sur La Presse+ (édition du 13 avril)