L'Allemagne va instaurer un salaire minimum en 2017. Les États-Unis et le Royaume-Uni veulent l'augmenter fortement malgré la résistance des milieux d'affaires. Et le Japon implore ses entreprises de relever les conditions salariales... Manoeuvre politique? Ou est-ce le début d'un grand combat contre les inégalités dans les pays riches?

Mercredi dernier, le président américain Barack Obama a signé un décret rehaussant de 25% (à 10,10$US l'heure) le salaire pour des milliers de contractuels de l'État.

La mesure est surtout symbolique, car elle ne touche qu'une petite partie des millions de travailleurs américains qui se contentent du minimum salarial.

Reste que l'initiative du président démocrate, qui se bute à l'opposition des républicains et des milieux d'affaires, marque un premier pas pour ce gouvernement qui s'est engagé à lutter contre les inégalités dans la première économie mondiale. Mais surtout, Barack Obama a donné un nouvel élan à un mouvement qui prend de l'ampleur dans les pays riches.

Peu avant la période des Fêtes, l'Allemagne a adopté une loi visant à instaurer un salaire minimal dans la plus grande économie européenne, et ce, au grand dam des entreprises qui craignent de devoir faire des compressions pour demeurer concurrentielles.

Contrainte par ses alliés sociaux-démocrates, la chancelière conservatrice Angela Merkel a fini par lâcher du lest. Il y aura une «paye minimale» en Allemagne - une première historique - fixée à 8,50 euros de l'heure (près de 13$CAN) - et applicable le 1er janvier 2017.

Puis à la mi-janvier, le grand responsable des finances au Royaume-Uni, George Osborne, s'est quant à lui déclaré favorable à une hausse de 11% du salaire minimum - de £6,31 à £7 (12,50$CAN) - pour le rétablir à son niveau d'avant la récession.

C'était juste avant que le premier ministre du Japon, Shinzo Abe, dénonce ouvertement les maigres salaires dans son pays. Les Toyota, Sony et autres géants japonais doivent payer mieux, a-t-il tonné. Car les travailleurs nippons en arrachent, leurs salaires ayant touché en 2013 leur plus bas niveau en 16 ans, selon le ministère du Travail.

Fausse reprise

Tactique politique pour apaiser la grogne populaire? Ou éveil des gouvernements devant les inégalités? Difficile de trancher, mais l'objectif de rehausser le salaire minimum traduit certes l'inquiétude devant la piètre qualité de la reprise économique, qui crée surtout des emplois précaires et mal payés dans les pays riches.

Aux États-Unis, par exemple, une étude de la Brookings Institution avance que 70% des embauches depuis la fin de la récession l'ont été dans des secteurs à faible coût de main-d'oeuvre, comme la restauration rapide et le commerce de détail. Des emplois que des économistes appellent des «McJobs».

À cet égard, le portrait est désolant: corrigés de l'inflation, les salaires chez McDonald's, PFK ou Burger King n'ont pas progressé d'un cent... en 50 ans, selon des études américaines. Pas surprenant que la révolte gronde dans ce secteur, cible de plusieurs manifestations aux États-Unis depuis un an de la part de travailleurs réclamant de meilleures conditions de travail.

Régression

La semaine dernière, Barack Obama a d'ailleurs fait valoir qu'en tenant compte de l'inflation, le pouvoir d'achat des travailleurs au salaire minimum avait «régressé de 20% par rapport à l'époque où Ronald Reagan a pris ses fonctions» de président, soit en 1981.

Selon l'Organisation internationale du travail, les États-Unis accusent d'ailleurs un retard par rapport aux autres pays industrialisés à cet égard. En 2010, le salaire minimum américain représentait seulement 38,8% du salaire médian dans ce pays, contre 46,1% en Grande-Bretagne et 60,1% en France.

C'est donc à se demander si 2014 ne sera pas l'année du salaire minimum, voire d'un éveil collectif devant les inégalités et leurs conséquences économiques.

Le problème est bien connu: la classe ouvrière s'appauvrit dans les pays développés... alors que les grands nantis - le fameux «1%» - s'enrichissent depuis au moins 10 ans, confirment plusieurs études. Or, hormis les problèmes moraux et sociaux qui en découlent, les inégalités ont aussi des conséquences sur le plan économique, préviennent des experts.

Aux États-Unis, une meilleure répartition de la richesse depuis 1979 aurait d'ailleurs permis d'ajouter quelque 500 milliards US à la consommation annuelle - une injection d'adrénaline qui gonflerait l'économie américaine de 3,5% par an, calcule l'économiste Alan B. Krueger, de l'Université Princeton. La banque britannique RBS rajoute que la trajectoire divergente des revenus des riches et de ceux des démunis depuis 30 ans fragilise la première économie mondiale. À preuve: la consommation aux États-Unis croît en moyenne de 2,4% par an depuis 2009, soit deux fois moins rapidement que durant les années 90. Et la consommation, c'est 70% du PIB américain... Bref, richesse mieux répartie rime avec économie en meilleure santé.