L'Argentine a adopté une nouvelle stratégie monétaire, laissant le peso se déprécier face au dollar de 13,9 % en deux jours, du jamais vu depuis la crise économique de 2001, avec l'objectif d'envoyer des signaux de confiance aux marchés.

Dans un contexte d'incertitude générale sur les réserves de devises, l'inflation et la compétitivité de l'économie argentine, le taux de change a fait un bond historique à 8,34 pesos pour un dollar, avant de retomber à 8,01 à la clôture.

Sur les trois premières semaines de 2014, la dévaluation, ennemi de l'épargnant et de l'investisseur, atteint 18,6 %, contre 24 % pour toute l'année 2013.

Jeudi, le taux de change a franchi la barre des 8 pesos pour un dollar (8,01), après avoir dépassé la veille la barrière symbolique des 7 pesos, un choc pour les Argentins, habitués dans les années 1990 à la parité avec le dollar.

Une dévaluation était réclamée par les milieux économiques, notamment les exportateurs, soucieux de pouvoir vendre leurs produits à des prix compétitifs sur les marchés internationaux.

Quant à l'inflation en Argentine, elle a atteint 28 % en 2013 selon des instituts privés et s'annonce encore supérieure en 2014.

L'inflation mensuelle pour le seul mois de janvier pourrait atteindre 5 %, selon les pronostics des instituts d'études économiques privés, qui diffusent des statistiques économiques, car le gouvernement minimise l'inflation, notamment.

Pour 2013, le gouvernement ne reconnait par exemple qu'une hausse des prix de 11 %.

L'autorité monétaire, la Banque centrale, laisse le peso se déprécier, après une politique interventionniste depuis 10 ans.

«Nous assistons à un changement de stratégie (du gouvernement) qui passe par une très forte accélération de la dévaluation, une sorte de traitement de choc, et pas aussi graduelle que par le passé, car au cours du dernier mois et demi, elle n'avait pas été suffisante, et les réserves ont continué de diminuer», estime Juan Pablo Rondero, économiste du cabinet d'études Abeceb.com.

Les réserves ont chuté de 52 à 29 milliards de dollars depuis début 2011, l'Argentine ayant dû puiser dans ses économies pour régler les achats de carburants à l'étranger et rembourser sa dette.

«L'accélération de la dévaluation aura un plafond : quand le taux de change aura atteint le chiffre décidé par la Banque centrale. Mais nous ne connaissons pas ce chiffre», a ajouté Juan Pablo Rondero.

Neil Shearing, expert de Capital Economics à Londres, souligne que «depuis trois ans, les autorités ont utilisé leurs réserves de devises pour éviter une dégringolade du peso. Il semble qu'elles ont décidé que le prix à payer était trop élevé».

Pour Boris Schlossberg, de BK Asset Management à New York, une dévaluation «très soudaine et forte a des conséquences dans toute l'économie» et de nombreuses transactions sont gelées, «car personne ne sait quelle est la valeur réelle du peso. Cela créé une dynamique économique très négative».

Dans l'expectative sur le plafonnement du taux de change, les fermiers préfèrent attendre pour vendre à un meilleur taux leur récolte de soja.

«Dollar bleu»

Pourtant, le gouvernement aurait bien besoin que les agriculteurs mettent sur le marché international leurs récoltes pour renforcer ses réserves monétaires.

L'ancien gouverneur de la Banque centrale, Alfonso Prat Gay, avertit que cette politique de dévaluation va renforcer l'inflation.

L'évolution du taux de change officiel a tiré dans son sillage le change au marché noir, propulsé à près de 13 pesos par dollar.

Depuis l'instauration du contrôle des changes établi en 2011 pour freiner la fuite des devises, les Argentins achètent sur le marché parallèle le «dollar blue (bleu)».

«Acheter le dollar à 12,5 pesos, c'est très cher, mais les gens ont peur et achètent à ce prix», note Alfonso Prat Gay.

Traumatisés par la crise économique de décembre 2001 et l'inflation qui ébranle le peso depuis 40 ans, les Argentins n'ont plus confiance en leur monnaie.

Le gouvernement de la présidente de centre-gauche Cristina Kirchner multiplie les initiatives pour redorer le blason d'une économie en manque de crédibilité, jusqu'ici en vain.

L'Argentine espère notamment attirer des capitaux étrangers pour exploiter le gigantesque gisement de gaz et pétrole de schiste de Vaca Muerta, qui place le pays sud-américain au 3e rang mondial en matière d'hydrocarbures non conventionnels.

Mercredi soir, Mme Kirchner a fait sa première apparition publique depuis un mois et prononcé un discours sans un mot sur la situation économique, continuant de laisser planer l'incertitude.