Tout est en place pour une reprise soutenue de la consommation aux États-Unis: avec la poussée boursière et le rebond du prix de leur maison, les Américains s'enrichissent. Ils ont même récupéré leurs pertes subies durant la crise financière 2007-2009. Beaucoup ont donc dans le collimateur leurs vieux sofas et cuisinières dont les jours sont comptés.

Si on pouvait fouiner par les fenêtres des maisons ces jours-ci, on verrait que les salons, les cuisines ou les chambres à coucher aux États-Unis ne sont pas décorés au goût du jour dans bien des cas. Loin de là.

Et ce pour une bonne raison: crise financière 2007-2009 oblige, les ménages américains ont dû conserver malgré eux leur vieux fauteuil défoncé ou une lessiveuse brimbalante, même plus longtemps que leurs parents ou grands-parents ne le faisaient il y a 50 ans.

C'est du moins ce que révèlent les données du Bureau of Economic Analysis, à Washington. L'âge moyen des biens durables aux États-Unis - des produits conservés généralement plus d'un an - est en effet le plus élevé qu'on ait recensé depuis 1962, affirme l'organisme fédéral, dont les chiffres sont colligés par l'agence Bloomberg.

Par exemple, l'âge des accessoires de jardin, comme le mobilier en «PVC» ou les tondeuses, est en moyenne de 5,3 ans, un sommet depuis 1961. Les appareils ménagers et les montres-bracelets des Américains sont également les plus vieux qu'on ait vus en cinq décennies.

Autrement dit, la crise déclenchée par l'éclatement de la bulle immobilière en 2007 a obligé les Américains à faire preuve de retenue. Cependant, l'usure faisant son oeuvre, ces biens devront tôt ou tard être remplacés par des tondeuses rutilantes ou des frigos dernier cri - résultat de ce que les économistes appellent la «demande accumulée» (pent-up demand), qui devra éclore un jour ou l'autre.

Et, mauvaise nouvelle pour tous ces vieux téléviseurs, les Américains viennent d'effacer leurs pertes subies durant la crise financière qui a provoqué la pire récession depuis la grande dépression. Nos voisins du Sud sont même plus riches qu'ils ne l'ont jamais été.

1900 milliards US de plus

Selon le dernier rapport de la Réserve fédérale (Fed), l'avoir net des Américains - soit la valeur de leur maison, portefeuille boursier et autres actifs «moins» l'ensemble de leurs dettes - a grimpé de 2,6% au troisième trimestre 2013.

C'est une manne additionnelle de 1900 milliards US qui porte la richesse collective à 77 300 milliards US - un sommet historique.

Les facteurs derrière cet enrichissement sont faciles à reconnaître: Wall Street termine sa meilleure année depuis 10 ans, l'indice Dow Jones (Bourse de New York) ayant bondi de plus de 20% en 2013, et les prix des maisons grimpent, même s'ils restent sous leur pic de 2007.

Au final, la Bourse a ajouté, du moins sur papier, 920 milliards US dans le portefeuille des Américains au dernier trimestre, pendant que la valeur des résidences s'appréciait de 428 milliards US.

Et comme le chômage dégringole et l'humeur des consommateurs remonte, la banque Wells Fargo croit que la première économie mondiale caracole et retrouvera «un élan soutenu» en 2014 à la faveur des consommateurs plus actifs.

Le dernier bilan du commerce de détail, paru jeudi, montre d'ailleurs que les Américains retournent graduellement dans les magasins, dont les ventes ont crû de 0,7% en novembre - plus forte hausse en cinq mois.

Autre bonne nouvelle pour les détaillants: les ménages empruntent à nouveau ("6% au troisième trimestre), selon la Fed, sans pour autant abuser du crédit. Bref, il y a pas mal de carburant dans le réservoir de nos voisins du Sud.

Fin de l'«American Dream»

Reste qu'il faut mettre un gros bémol dans ce concert de bonnes nouvelles en raison d'un problème bien connu: l'enrichissement profite surtout aux riches aux États-Unis.

«L'accroissement de la richesse n'est pas uniforme», déplore le Crédit Suisse dans une note économique. «Ce sont surtout les actifs financiers qui grimpent, lesquels sont concentrés dans une petite partie des ménages.»

Cette analyse a des échos dans la population. Selon un sondage Bloomberg, effectué du 6 au 9 décembre, près de deux Américains sur trois (64%) jugent que les États-Unis n'offrent plus une chance égale à tous leurs citoyens d'améliorer leur qualité de vie. Autrement dit, «l'American Dream» n'existe plus pour la majorité des gens.

Une nouvelle étude risque en plus de nourrir ce sentiment. Des chercheurs de l'Université de la Californie (Berkeley) viennent de calculer que la tranche de 10% des Américains les plus riches a accaparé «plus de la moitié» des revenus du pays l'an passé - une part inégalée depuis 1917!

Il y a deux semaines, Barack Obama lui-même tirait à boulets rouges sur les inégalités dans son pays. Lors d'une longue allocution sur le renforcement de la classe moyenne, le président américain a déploré que depuis des années, «le contrat fondamental au coeur de notre économie a été faussé», avec des disparités croissantes entre pauvres et riches.

Wall Street peut bien festoyer en cette fin d'année, ce n'est pas tout le monde qui pourra s'offrir un nouveau sofa à Noël.