Les Européens ont trouvé un accord lundi à Bruxelles sur les moyens d'empêcher les fraudes concernant les travailleurs détachés, un sujet explosif à quelques mois des élections européennes.

Après plus de huit heures de discussions, les ministres du Travail des 28 ont trouvé comment lutter de manière coordonnée contre les nombreux abus liés au détachement de travailleurs européens dans un autre pays que le leur.

Cela «va nous permettre d'avoir une concurrence loyale avec une égalité de traitement entre tous les travailleurs», a affirmé la ministre lituanienne, Algimanta Pabedinskiene, dont le pays assure la présidence semestrielle de l'UE.

Dénonçant des conditions souvent «inadmissibles sur le plan humain et sur le plan économique», le ministre français, Michel Sapin, a pour sa part salué «un accord en tout point conforme à ce que voulait» Paris, très en pointe sur ce dossier.

«Je commencerai dès cette semaine à mettre en oeuvre les outils juridiques et les moyens humains permettant de lutter contre ces fraudes. Et je peux vous dire que ça se verra sur le territoire français», a-t-il promis.

Le nombre de travailleurs détachés au sein de l'UE atteindrait 1,5 million aujourd'hui. Rien qu'en France, jusqu'à 350 000 personnes seraient concernées, et seulement une partie déclarée: 170 000 en 2012 et 210 000 en 2013 (+23%), selon des chiffres du ministère français du Travail.

D'après une directive (loi européenne) datant de 1996, une entreprise peut «détacher» des salariés dans un autre pays de l'UE pendant deux ans maximum, à condition d'appliquer certaines règles du pays d'accueil (salaires, conditions de travail) tout en versant les cotisations sociales dans le pays d'origine.

Faute de contrôle efficace, ces principes sont régulièrement bafoués, notamment dans le bâtiment où nombre de travailleurs détachés sont payés en deçà du salaire minimum.

Si la dénonciation était unanime, les moyens de lutter contre les fraudes et de renforcer le texte initial divisaient les 28.

La volte-face de la Pologne

Deux fronts se dessinaient: les pays favorables à plus de contrôles comme la France et l'Allemagne et ceux qui craignaient de remettre en cause la libre circulation des travailleurs et formaient une minorité de blocage.

Sept pays ont voté contre le texte: le Royaume-Uni, allergique à toute nouvelle réglementation pour les entreprises, ainsi que la Hongrie, la République tchèque, la Lettonie, l'Estonie, la Slovaquie et Malte.

C'est finalement la volte-face de la Pologne qui a permis de faire passer le texte. La France a d'ailleurs chaleureusement «remercié» ce pays, où s'est récemment rendu le président François Hollande.

Les discussions ont duré plus longtemps que prévu et achoppé sur la mise en cause des entreprises donneuses d'ordre comme des filiales impliquées dans les fraudes de travailleurs détachés, le principe de «responsabilité solidaire».

Une dizaine d'États membres dont la France souhaitait que ce principe soit obligatoire dans le bâtiment pour faire face aux montages sophistiqués de fraude dans ce secteur. Ils ont finalement eu gain de cause.

Il est prévu que les pays n'ayant pas un tel système juridique mettent en place un mécanisme de sanctions équivalent, dont l'efficacité sera jaugée par la Commission européenne.

Ce fut «la bataille la plus difficile, car cela rendait obligatoire (l'instauration de) règles nouvelles», a souligné M. Sapin.

Les discussions ont également porté sur les mesures de contrôle pour mieux lutter contre les abus. Au final, une «liste ouverte» de documents pourra être réclamée à une entreprise détachant des travailleurs, par opposition à une liste fermée, à laquelle on ne peut plus toucher.

Le texte va maintenant être examiné par le Parlement européen qui pourrait encore «aller plus loin», a estimé son président, Martin Schulz, dans un communiqué.

Il espère même que la directive sera révisée (et non seulement renforcée), car «c'est un texte daté qui ne fait pas face aux défis d'aujourd'hui. Il est temps de reconnaitre que les droits fondamentaux des travailleurs sont aussi importants que le principe de libre circulation», selon lui.

Lundi matin, les syndicats européens avaient de leur côté plaidé pour obtenir l'accord le plus ambitieux possible. Environ 250 militants syndicaux se sont rassemblés devant le Conseil européen à Bruxelles, pour «harmoniser les règles sociales européennes pour le bien-être de la population» sous peine que le continent se transforme en «cimetière social».