L'OCDE, des agences de notation et des économistes réputés sont du même avis: les pays scandinaves, dont la Suède et la Norvège, risquent une crise économique après avoir encouragé le crédit facile et la naissance d'une bulle immobilière.

Nouriel Roubini n'est pas le genre de gars que certains voudraient inviter à leur party de Noël pour faire lever la fête. Au début des années 2000, le célèbre économiste a été affectueusement surnommé «Dr Doom» («Dr Catastrophe») à cause de ses prédictions notoirement pessimistes.

Mais lorsque la crise financière américaine a éclaté en 2008, avec l'effondrement de l'immobilier, d'aucuns ont reconnu que le bon docteur avait bien dit - avant les autres - qu'on fonçait droit dans le mur. De pessimiste, il est devenu un réaliste.

Cinq ans plus tard, on prend encore ses analyses avec un grain de sel... sauf lorsque celles-ci sont appuyées par des agences de notation de crédit, des banques centrales et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

En gros, M. Roubini n'aime pas ce qu'il voit ces temps-ci dans certains pays, dans le nord de l'Europe en particulier.

«L'argent facile [...] nourrit de nouvelles bulles immobilières. Les prix des actifs augmentent face à une demande dopée par des crédits avantageux», déplore le professeur de l'Université de New York dans une nouvelle lettre financière.

«De réelles bulles» apparaissent en Suède, en Norvège et en Finlande, prévient M. Roubini, qui mentionne aussi parmi les pays à risque l'Australie, la Grande-Bretagne... et le Canada. Même si plusieurs préfèrent ignorer ces sombres présages, des experts commencent à y croire.

Dans son rapport publié en novembre, l'OCDE a même servi un avertissement aux autorités des pays scandinaves: il est grandement temps de prendre des mesures énergiques «pour contenir l'endettement des ménages», dit l'organisme, qui demande l'abandon des politiques monétaires trop souples qui contribuent «aux déséquilibres financiers, surtout dans l'immobilier».

Bulles

En clair, l'OCDE dit que la Suède, la Norvège et le Danemark ont certes de belles qualités, sur le plan économique, mais leurs citoyens ont un vilain défaut: ils sont endettés jusqu'au cou.

Le ratio le plus significatif de l'endettement des ménages - les dettes totales (hypothèques incluses) sur le revenu disponible (après impôt) - s'élève à 320% au Danemark, soit le double de celui des Canadiens, à 213% en Norvège et 172% en Suède.

Certes, les Scandinaves ont des économies solides, qui ont été largement épargnées par la crise qui sévit toujours dans le reste de l'Europe. Leurs succès dans le commerce mondial sont aussi enviables et leurs gouvernements ont peu de dettes. Cependant, les finances des ménages sont dans un état lamentable.

L'agence Fitch en a parlé récemment. Et la semaine dernière, Standard&Poor's a tiré un coup de semonce en visant cette fois un voisin très proche, qui est dans une situation similaire.

Causant un choc dans la communauté financière, S&P a abaissé d'un cran la cote de crédit des Pays-Bas, l'un des derniers «AAA» de la zone euro.

Selon S&P, l'économie des Pays-Bas va pâtir d'une faible croissance l'an prochain. La raison? Comme les Scandinaves, les Néerlandais se sont follement endettés depuis 20 ans (la dette privée représente 110% du PIB) pour devenir propriétaires, alimentant une bulle immobilière qui est en train de se dégonfler.

En effet, les prix des maisons s'enfoncent déjà au pays de la tulipe, ayant plongé de 21% par rapport à leur pic de 2008. Une situation grave, étant donné que les Néerlandais ont tendance, comme d'autres, à consommer davantage quand leur patrimoine s'accroît. Mais voilà que 18% des ménages ont une hypothèque plus élevée que la valeur de leur maison, selon S&P. L'économie va donc écoper.

La Suède intervient, la Norvège tempère

La banque centrale de Suède, la Riksbank, a bien entendu le message de l'OCDE. Elle vient tout juste de resserrer les exigences en fonds propres des banques en matière de prêts immobiliers, afin de réduire les risques pour le secteur financier.

De 1995 à 2012, les prix des logements (en termes réels) ont bondi de 143%. La hausse a ralenti cette année, et on craint une correction brutale. La Suède ne veut surtout pas revivre une autre grave crise financière comme celle du début des années 90 qui a failli emporter ses banques.

En Norvège, les prix immobiliers ont diminué en septembre et en octobre. Inquiet, le gouvernement songe plutôt à assouplir les conditions des prêts hypothécaires pour les premiers acheteurs, afin d'éviter un effondrement du marché.

Considérés en état de bulle, les prix des logements norvégiens pourraient plonger de 20% d'ici deux ans, selon la Nordea Bank, la plus grande banque du pays.

La morale de cette histoire, c'est que les Scandinaves ont joué avec le crédit trop longtemps et ils risquent de se brûler les doigts avec la surchauffe immobilière.

Leur situation devrait faire réfléchir de notre côté de l'Atlantique, étant donné que l'endettement des Canadiens est à un sommet historique et que l'immobilier flambe toujours, surtout à Toronto et à Vancouver. Il ne faudrait pas admettre, un bon matin, que Nouriel Roubini avait (encore) raison.