Au Bangladesh, au Cambodge et en Indonésie, les travailleurs du textile - les «petites mains», soit des femmes et des enfants surtout - se révoltent et poussent les salaires de crève-faim à la hausse. Plusieurs y voient la fin d'un modèle qui a longtemps profité à l'industrie du prêt-à-porter.

Dans l'espoir de calmer la grogne des travailleurs, Wal-Mart, H&M et d'autres géants de la mode ont signé en catastrophe, jeudi dernier, un accord par lequel ils s'engagent à rehausser les normes sécuritaires dans les ateliers de vêtements au Bangladesh.

Deux grandes associations, représentant des détaillants européens et américains, vont ainsi dicter aux fournisseurs bangladais des règles plus strictes quant à l'intégrité structurelle et au risque de feu des usines où sont confectionnés les vêtements. On verra avec le temps la valeur réelle de cet engagement. Reste qu'il s'agit d'un mea-culpa plutôt embarrassant pour le milieu de la mode face à la révolte qui s'étend dans les ateliers du Bangladesh, mais aussi ailleurs en Asie.

Après l'effondrement du Rana Plaza en avril, une tragédie qui a coûté la vie à 1130 ouvriers, les yeux de l'industrie sont à nouveau rivés sur le Bangladesh et ses millions de travailleurs qui font tourner les usines de vêtements au pays - une affaire de 22 milliards US par an.

Des milliers d'ouvriers ont déclenché des grèves ce mois-ci, parfois dans la violence, en réclamant de meilleures conditions de travail. Or, des soulèvements moins médiatisés, mais tout aussi significatifs ont aussi eu lieu au Cambodge et en Indonésie. Chaque fois, on demande des hausses de salaire majeures, allant jusqu'à 100%.

Voici un aperçu des récents événements:

- Les ouvriers du textile au Bangladesh défilent massivement, depuis trois semaines, contre les bas salaires. Lundi dernier, plus de 140 usines ont dû être fermées, tandis que des heurts avec la police se déroulaient dans une zone industrielle près de la capitale, Dacca. Deux salariés ont été tués et 150 ont été blessés;

- Au Cambodge, une femme a été tuée par balle, il y a deux semaines, lors d'une manifestation d'ouvriers ayant tourné à l'affrontement. Des centaines de policiers avaient été déployés à Phnom Penh pour contenir les ouvriers du groupe SL Garment Processing, qui fournit des marques comme Gap ou H&M;

- Des centaines de milliers d'Indonésiens, selon les syndicats, ont déclenché fin octobre une grève nationale pour réclamer une hausse du salaire minimum, l'un des plus faibles au monde malgré une économie florissante. «Augmentez nos salaires de 50%», clamaient des travailleurs dans un parc industriel près de Jakarta qui regroupe des sous-traitants des géants du vêtement et de l'électronique.

Entre-temps, les tensions restent vives au Bangladesh, même si le gouvernement vient d'augmenter - de 76% - le salaire minimum des ouvriers du textile à 68$US par mois. Le pays est le deuxième exportateur d'habillement du monde, après la Chine.

Dans un pays où l'inflation dépasse les 10%, les syndicats demandent un relèvement du salaire minimum mensuel à 103$US.

Les rémunérations des ouvriers du vêtement au Bangladesh sont les plus basses d'Asie, à l'exception de la Birmanie (53$US). Selon l'Organisation internationale du travail (OIT), le salaire moyen est supérieur en Inde (71$US), au Viêtnam (78$US) et au Cambodge (80$US).

La fin du «cheap labour» ?

Dans une analyse étoffée publiée récemment, le Fonds monétaire international (FMI) confirme ce que d'autres avaient déjà pressenti: le monde du travail dans les pays émergents vit un grand bouleversement qui aura des répercussions sur tout le monde.

Les demandes salariales, l'agitation ouvrière et les pénuries de travailleurs (surtout en Chine) pourraient marquer le «début de la fin du cheap labour», avance le FMI. Cette analyse est appuyée par les augmentations de rémunération consenties ces derniers temps. Selon l'OIT, les salaires réels (après inflation) dans les économies émergentes ont d'ailleurs doublé en dix ans.

La Thaïlande, par exemple, a augmenté de 65% le salaire minimum du pays en janvier dernier, une hausse record, pendant que la Malaisie instaurait pour la première fois un salaire minimal (300$US par mois).

Dans ce climat de tension, l'industrie du textile montre déjà les marques de la rébellion ouvrière. Le rendement annuel des investisseurs dans ce secteur au Bangladesh aurait d'ailleurs fondu, passant de 50% historiquement à 20% actuellement, soutient Forrest Cookson, un économiste américain spécialiste de l'économie bangladaise.

Autrement dit, la «guenille» est de moins en moins payante. Si bien que, selon The Economist, des entrepreneurs du pays ont commencé à liquider leurs investissements et à transférer de l'argent vers d'autres pays.

En somme, on s'aperçoit que le modèle occidental du prêt-à-porter à bas prix a probablement atteint ses limites.

Le ras-le-bol s'empare des ouvriers, surtout des femmes et des enfants dans certains pays qui assemblent nos t-shirts pour des salaires misérables. Les «petites mains» serrent les poings aujourd'hui. Et les coutures d'une industrie risquent de lâcher.