Après l'espoir, les doutes. L'économie japonaise est à nouveau en difficulté malgré quatre trimestres de croissance d'affilée. La recette miracle du premier ministre Shinzo Abe semble perdre de son efficacité.

Récemment, un quotidien britannique a laissé tomber une petite bombe sur le Japon: le plus sérieusement du monde, études à l'appui, The Guardian avance dans un reportage que les jeunes de ce pays ont perdu leur appétit sexuel et préfèrent le célibat - cause principale du vieillissement accéléré de la population.

Un phénomène surnommé «syndrome du célibat», ou «sekkusu shina shokogun».

Un chroniqueur du Washington Post en a rajouté une couche en parlant d'une «bombe à retardement»: comme les Japonais n'aiment plus le sexe, ils n'ont plus d'enfant. Leur économie va donc s'écrouler, avance-t-il. Et ils seront alors incapables de rembourser leur colossale dette publique... causant une apocalypse économique planétaire!

Évidemment, ces savantes analyses ont provoqué un tsunami de plaintes au Japon. Un journaliste du New York Times et des médias français s'en sont mêlés en critiquant leurs collègues et leurs étonnantes théories socio-économiques. Bref, un débat plutôt embarrassant est lancé au moment où Tokyo répète depuis des mois que le Japon - et ses jeunes - ont retrouvé leur «vigueur des beaux jours»... du moins sur le plan économique.

Car, hormis la prétendue aversion nipponne pour les plaisirs charnels, les experts ont certes cru l'été dernier que la troisième économie mondiale retrouvait sa fougue d'antan et une attirance renouvelée pour la consommation. «Japan is back», clamait un média britannique.

Mais c'était avant le dernier bilan économique, paru jeudi dernier.

Le Japon a certes aligné un quatrième trimestre de croissance d'affilée, mais, grosse douche froide, le rythme vient de chuter de moitié.

De juillet à septembre, le produit intérieur brut (PIB) du Japon a crû de 0,5%, soit une hausse de 1,9% en rythme annuel qui est deux fois moindre que celle du trimestre précédent.

Les gros problèmes: consommation en berne, manque de désir d'investir de la part des entreprises et panne du commerce extérieur. Bref, il faut bien l'admettre, le pays du Soleil levant n'a pas une économie très fertile ces temps-ci.

Cible ratée pour les trois flèches?

Le Japon avait pourtant renoué avec la croissance à la fin de 2012, coïncidant avec le recul bénéfique du yen et, surtout, le regain de confiance de la population par rapport aux politiques du nouveau gouvernement.

Or, l'effet des «Abenomics» et les fameuses trois «flèches» tirées par le premier ministre, Shinzo Abe, pour soutenir l'économie japonaise - politique monétaire accommodante, hausse des dépenses publiques, promesses de réformes structurelles - semble s'atténuer. Les dépenses des ménages, un moteur essentiel de l'archipel, n'ont augmenté que de 0,1% au troisième trimestre, contre " 0,6% au deuxième et " 0,8% au premier. «C'est la consommation qui a servi de locomotive», rappelle la firme Daiwa Securities.

Tokyo se défend en disant que cette baisse de régime est liée à l'essoufflement de la Bourse de Tokyo qui, après une première moitié de 2013 éclatante, a refroidi l'ardeur des consommateurs.

En outre, le programme de grands travaux, enclenché par Tokyo en février à coups de milliards de dollars, avait bien fonctionné lui aussi au départ. Si bien que ces investissements ont porté une large part de la croissance au printemps. Mais cet effet semble également se dissiper. Même la baisse de 20% du yen par rapport au dollar américain cette année a peu d'impact sur les exportations, qui s'essoufflent (elles ont baissé de 0,6% en valeur au dernier trimestre). Le gouvernement jette le blâme sur la perte de vitesse des voisins asiatiques et la faible demande européenne, qui gonflent le déficit commercial très élevé du pays des Toyota, Sony et cie.

L'espoir fait donc place aux doutes. Les experts attendent les prochaines initiatives de Shinzo Abe, qui veut faire voter les réformes structurelles promises. Le temps presse, car les entreprises japonaises ont reporté les embauches et leurs investissements en attendant des résultats.

Regain de vie temporaire?

Malgré tout, le gouvernement Abe refuse d'y voir une remise en cause de sa stratégie. «L'économie continue de se redresser», a tranché jeudi le ministre de l'Économie, Akira Amari.

Heureusement, Shinzo Abe n'a pas épuisé toutes ses munitions. Son gouvernement ira de l'avant, en avril, avec une hausse de la taxe sur la consommation afin de se dégager des revenus additionnels pour l'État le plus endetté du monde. Cette «TVA» passera de 5 à 8%, et les commerçants tablent, d'ici là, sur un afflux de clients aux caisses.

La question est de savoir combien de temps les Japonais vont renouer avec leur vieille passion pour la consommation. Goldman Sachs prévoit un rebond de la croissance à 3%, en rythme annuel, sur les deux prochains trimestres.

Mais «c'est par la suite que l'économie japonaise sera vraiment testée», nuance la firme JPMorgan Securities. Mais, n'en déplaise au Guardian, aucun économiste n'ose cependant prédire ce qui surviendra dans les chambres à coucher...

Une aventure sans lendemain, les «Abenomics» ?