Européens et Américains ont repris lundi à Bruxelles leurs discussions en vue d'établir un vaste accord de libre-échange, un processus qui avait été interrompu par la crise budgétaire aux États-Unis, mais également mis à mal par le scandale de l'espionnage américain.

Les discussions se tiendront jusqu'à vendredi, date à laquelle les chefs négociateurs européen et américain, Ignacio Garcia-Bercero et Dan Mullaney, tiendront une conférence de presse.

Ce second round de discussions aurait dû initialement se tenir à la mi-octobre mais la fermeture partielle de l'administration américaine avait contraint les deux parties à le reporter.

Entre temps, le scandale de l'espionnage mené à l'étranger par l'agence de sécurité nationale de sécurité américaine (NSA) a apporté son lot de révélations et des voix se sont élevées pour demander de suspendre les négociations, ce que les dirigeants européens ont refusé de faire.

Cette négociation «est vraiment une question distincte», a plaidé la semaine dernière le secrétaire d'État américain John Kerry. Elle «ne devrait pas être confondue avec toutes les questions légitimes qui peuvent se poser concernant la NSA et d'autres activités», a-t-il insisté.

«La question de l'espionnage n'est pas quelque chose que nous évoquons dans le cadre des négociations (commerciales) mais il y a des questions de confiance qui ont été évoquées», a toutefois reconnu une source européenne proche des négociations.

Dans ce contexte, les Européens ne veulent pas transiger sur les normes de protection des données personnelles même s'ils sont prêts à parler de transfert d'information. «C'est une ligne rouge», affirme-t-on à Bruxelles.

Ils craignent en effet que ces données soient exploitées à des fins commerciales par les géants américains de l'Internet. Cette question «pourrait facilement faire dérailler» les discussions, a récemment averti la commissaire européenne responsable de la Justice, Viviane Reding, lors d'une visite à Washington.

Les discussions doivent porter cette semaine sur des sujets aussi divers que les services, l'investissement, l'énergie et les matières premières ainsi que les questions de régulation. Mais aucune percée définitive n'est attendue, tant les deux parties en sont encore à se positionner. Dans l'immédiat, «nous essayons d'identifier les secteurs où les discussions peuvent avancer», rappelait récemment une source communautaire.

L'objectif est de soumettre un premier ensemble de propositions aux responsables politiques au début de l'an prochain.

Le commissaire européen au commerce, Karel De Gucht, aimerait rester cinq années supplémentaires à son poste pour boucler les négociations. Mais il est poursuivi en Belgique pour fraude fiscale, et une éventuelle condamnation pourrait couper court à ses ambitions.

Les deux parties cherchent notamment «une reconnaissance mutuelle» de leur système réglementaire dans plusieurs secteurs-clés, comme l'automobile, les secteurs sanitaire et phytosanitaire ou les services financiers que Washington entend farouchement défendre.

Car l'absence de convergence en matière de sécurité et de performance automobiles se traduit par un surcoût d'environ 20% pour les voitures, a donné en exemple un négociateur européen sous couvert d'anonymat.

Les contours de la négociation restent frappés d'opacité, faute d'accord des Etats pour rendre public la mandat confié à la Commission européenne en juin.

Si la question de l'audiovisuel a été exclue pour l'instant du mandat de négociations, d'autres points font l'objet de divergences d'interprétation.

«L'exception culturelle est un très bel arbre, mais il ne doit pas cacher la forêt des risques: services publics, OGM, viande aux hormones, volaille chlorée, indications géographiques, agriculture, marchés publics, accord commercial anti-contrefaçon (Acta), protection des données privées, marchés publics...», soutient ainsi l'eurodéputé Vert français Yannick Jadot.

La Commission européenne, qui négocie au nom des États, espère en outre que l'accord de libre-échange conclu mi-octobre avec le Canada va servir de modèle dans cette nouvelle négociation.

Après plus de quatre ans de discussions, Européens et Canadiens ont réussi à se mettre d'accord et à régler plusieurs contentieux dans le domaine agricole comme l'ouverture du marché européen au boeuf canadien.

Un troisième round de discussions est dans tous les cas prévus mi-décembre à Washington.