C'est, de loin, le plus grand marché de la planète: les échanges de devises - un commerce de plus de 5300 milliards US par jour - représentent plus de 25 fois la valeur de toutes les transactions boursières. Et le billet vert américain y est roi. Or, la vedette montante sur ce marché en forte croissance est le yuan chinois, et Pékin prépare une offensive pour s'y tailler une place importante.

Selon une nouvelle étude, le monde de la finance vit un grand remue-ménage dans ses terres les plus fertiles, soit les échanges des devises.

Ces changements sont manifestes à deux niveaux. D'abord, la valeur des transactions sur le marché international des changes a enregistré un bond spectaculaire depuis trois ans - soit plus de 30% - autre preuve de l'essor des pays émergents.

D'après la Banque des règlements internationaux (BRI), la référence mondiale en la matière, il s'échange désormais 5345 milliards US en moyenne chaque jour en devises de toutes sortes. Un record.

La BRI confirme la domination écrasante du dollar américain dans ce vaste centre commercial électronique: le billet vert est impliqué dans 87% des transactions, contre près de 85% il y a trois ans.

Cependant, moins de 12 ans après son entrée en scène, l'euro perd du terrain sur fond de crise économique en Europe. La monnaie phare du Vieux Continent est présente dans 33% des transactions, un repli de 6% en trois ans. Le yen japonais vient au troisième rang, avec 23% des transactions.

Le yuan, vedette montante

Or, l'autre fait marquant de l'étude est la montée en puissance des devises émergentes dans la foulée du succès économique du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine). Et dans ce groupe, celle qui se démarque est le yuan chinois, qui a des ailes sur le marché des changes.

«La place du yuan s'est nettement renforcée grâce aux efforts d'internationalisation» de Pékin, relève la BRI. Les volumes quotidiens échangés atteignent 120 milliards US, soit presque quatre fois plus en trois ans.

Le yuan, 17e au monde en 2010, est passé au 9e rang des devises les plus échangées, selon la BRI, se rapprochant du dollar canadien qui s'accroche au 7e rang.

«Le yuan, c'est le fait saillant de l'année en terme de croissance», affirme la Banque HSBC dans une note financière, en soulignant la demande accrue des clients d'affaires et des investisseurs.

Les transactions commerciales de plus en plus réglées en yuans, à la demande des fournisseurs chinois, témoignent des changements dans la chaîne d'approvisionnement mondiale depuis 25 ans. La Chine, «l'usine du monde», impose ses conditions même aux Américains.

Ainsi, les paiements en yuans par les sociétés américaines ont bondi de 90% (variation sur un an) au premier semestre 2013, selon un sondage Western Union Business Solutions cité par le Wall Street Journal. Du coup, les transactions en yuans représentent 12% des échanges commerciaux entre les États-Unis et la Chine, contre 8,5% il y a un an.

L'offensive de Pékin

Et s'il n'en tient qu'aux leaders chinois, on n'a encore rien vu. Entreprises et investisseurs du monde devront convertir de plus en plus leurs transactions en yuans dans l'avenir.

Pékin inaugurera en grande pompe, le 27 septembre, une zone-pilote de libre-échange à Shanghai, sa capitale économique. Avec cette expérience de libéralisation, les Chinois autoriseront la libre conversion de leur monnaie dans cette zone franche. Une première.

Le premier ministre, Li Keqiang, veut faire de Shanghai un bastion international du commerce et de la finance, qui fera donc ombrage à Hong Kong.

Dans la zone Shanghai, on lèvera les obstacles administratifs et juridiques pour plusieurs secteurs, dont l'industrie bancaire qui accueillerait des banques étrangères, selon les informations qui circulent. Des entreprises étrangères pourraient aussi s'y établir dans les domaines de l'assurance, des télécommunications et de la culture.

La libéralisation du yuan reste la mesure la plus spectaculaire. Les entreprises autorisées pourront ouvrir des comptes bancaires spéciaux leur permettant de changer librement leurs yuans à la valeur fixée par le marché.

Actuellement, Pékin impose des restrictions sur les échanges de sa monnaie nationale. Même si la valeur du yuan, ou renminbi («monnaie du peuple»), n'est plus fixée arbitrairement comme avant par rapport au dollar américain, la banque centrale chinoise ne laisse le yuan évoluer que dans une fourchette étroite. À Shanghai, c'est plutôt le marché - l'offre et la demande - qui décidera.

La zone Shanghai s'inscrit dans un vaste plan visant à moderniser le système financier chinois, encore dominé par les banques d'État. Actuellement, les investisseurs se butent à diverses entraves au moment de faire entrer et de sortir leurs fonds de la Chine.

S'amorce donc une nouvelle ère dans la conversion de la Chine au capitalisme, même si le yuan n'est pas à la veille de détrôner le puissant billet vert américain.

Valeur des transactions quotidiennes dans le monde

1998 : 1527 milliards US

2001 : 1239 milliards US

2004 : 1934 milliards US

2007 : 3324 milliards US

2010 : 3971 milliards US

2013 : 5345 milliards US

41%

Part des échanges de devises enregistrés à Londres, toujours la capitale mondiale de ce marché.

18,9%

Part des échanges de devises enregistrés à New York.