Frappés par une pénurie de papier, des petits journaux du Venezuela éprouvent les plus grandes difficultés à être diffusés, certains devant se contenter d'éditions en ligne, d'autres réduisant leur pagination ou leurs jours de parution.

Le manque de dollars, dû à un drastique contrôle des changes imposé il y a dix ans par les autorités pour endiguer la fuite des capitaux, limite les capacités d'achat des importateurs de papier et d'autres produits nécessaires aux fonctionnement des rotatives, comme les planches d'impression ou l'encre.

Carlos Correa, président d'Espace Public, une ONG de défense de la liberté d'expression, explique à l'AFP que sur une centaine de journaux régionaux au Venezuela, près de la moitié souffrent de la pénurie de certains produits, une façon de faire taire des médias critiques envers le gouvernement, estiment des secteurs de la société.

«Les grands médias, avec plus de moyens et des stocks conséquents, se fournissent directement. Les plus fragiles sont les journaux de province, qui dépendent des importateurs. Le gouvernement doit rendre transparent l'accès aux devises pour acheter les produits» nécessaires à la confection des publications, ajoute-t-il.

L'importation de papier, constituait, avec les médicaments et les aliments, une priorité pour la Commission d'administration des devises (Cadivi), organisme officiel chargé d'allouer des devises aux entreprises, au taux officiel de 6,3 bolivares pour un dollar.

Mais l'obtention de ces devises a été encore compliquée depuis que l'année dernière, les autorités ont imposé à ces importateurs de présenter un certificat attestant que les biens qu'ils achetaient à l'étranger ne pouvaient être acquis auprès d'entreprises locales.

La délivrance de ce certificat de non-production nationale (CNP) et des devises donne lieu selon le directeur de l'Association des industries des arts graphiques à un «pénible» processus bureaucratique.

Président du groupe de presse Bloque de Prensa Venezuela, David Natera critique l'imposition de ce certificat, qui peut nécessiter plusieurs mois de démarches, et assure qu'il s'agit d'«un obstacle (volontaire) car tout le monde sait qu'on ne produit pas de papier dans le pays».

Quelques petits journaux, signale-t-il, «se prêtent du papier ou l'achètent au marché noir au prix du dollar parallèle», six fois plus élevé que le dollar officiel, mais d'autres publications ne résistent pas.

«Bureaucratie pachydermique»

Dans un communiqué, El Sol, parution de l'Etat de Monagas (nord-est), a annoncé la semaine dernière «l'interruption momentanée» de sa diffusion «en raison du manque de matériel qui empêche (son) impression et qui en ce moment affecte les journaux de la région et du pays».

Belkys Blomdell, directeur du quotidien El Caribazo (Etat maritime de Nueva Esparta), dont le journal tire de 15 000 à 25 000 exemplaires, a réduit au cours de l'année écoulée sa pagination de 32 à 16 pages. «Il y a beaucoup de difficultés, avec les manques de produits, mais nous les cherchons, pour essayer de ne pas cesser de paraître», indique-t-il par téléphone à l'AFP.

Ces problèmes d'importation ont été interprétés par certains secteurs de l'opposition comme des obstacles à la liberté d'expression.

«Il est inévitable de penser que la licence d'importation est utilisée de façon intentionnelle pour bâillonner» une certaine presse, a affirmé à Miami un responsable de la Société interaméricaine de presse (SIP), Claudio Paolillo.

Mais les titres pro-gouvernement, comme VEA, disent subir les mêmes désagréments que leurs homologues opposants et plaident pour un assouplissement des démarches et l'ouverture d'une papeterie dans le pays.

«Les cordonniers sont les plus mal chaussés. On nous impose également des conditions. Quand on n'a plus de papier, nous passons de 32 à 24 pages. Certains disent qu'ils sont harcelés, asphyxiés. Mais nous souffrons tous de la bureaucratie pachydermique», raconte le chef de la rédaction de VEA, Argelio Pérez.

Pour la sociologue Maryclen Stelling, de l'Observatoire global des médias, le gouvernement du président Nicolas Maduro doit «rapidement résoudre la pénurie de papier, qui est un problème économique, pour éviter que ça ne prenne une teinte politique».

«La fermeture de journaux régionaux nuit au droit au débat et à la libre circulation des idées, ce qui est préoccupant à l'approche des élections municipales, en décembre», regrette enfin le défenseur de la liberté de la presse, Carlos Correa.