À bout de souffle, le commerce mondial progresse presque trois fois moins vite qu'il y a cinq ans. La crise européenne, la perte de vitesse de la Chine, mais aussi la montée du «fabriqué localement» et les nouvelles technologies forcent tout le monde à s'adapter à une nouvelle mondialisation.

De grosses vagues secouent le secteur maritime ces temps-ci.

Trois grands armateurs européens viennent d'annoncer une alliance historique qui a pris le monde par surprise : le no 1 mondial, le danois Maersk, et ses concurrents italo-suisses MSC et français CMA/CGM se doteront d'un réseau commun en 2014, baptisé P3, couvrant les principales routes maritimes du globe.

Le but : optimiser l'usage de leurs flottes gigantesques (près de 40% de la capacité de porte-conteneurs de la planète) en réaction à la faible demande mondiale et à la chute des tarifs maritimes.

Quelques jours auparavant, à l'autre bout du monde, un autre choc: le premier chantier maritime chinois, Rongsheng Heavy Industries, se disait incapable de payer ses employés même après avoir licencié 40 % de ses effectifs. Son problème : trop de bateaux sur le marché, pas assez d'acheteurs et des coffres vides.

Que se passe-t-il pour que le monde maritime se retrouve aussi brusquement en eau trouble ?

Le commerce mondial en berne

D'abord, la principale cause des malheurs des marins est l'essoufflement du commerce international.

Selon le plus récent rapport de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les échanges commerciaux progressent presque trois fois moins vite depuis l'éclatement de la crise financière américaine. Ceux-ci ont crû de seulement 2,5 % en 2012, comparativement à 5,2 % en 2011 et à près de 6,0 % par an en moyenne entre le milieu des années 90 et 2008.

C'est bien sûr la conséquence d'une économie au ralenti, dans les pays occidentaux en général et en Europe en particulier. Mais il y a plus. L'industrie maritime ressent aussi les remous d'une nouvelle vague de fond : le commerce mondial change.

C'est nul autre que le président du géant Maersk qui le dit : outre le facteur économique, de nouvelles tendances émergent dans les échanges commerciaux, affirme Soren Skou, dans un récent entretien au Financial Times. Notamment, les déménagements d'usines américaines et européennes vers l'Asie - phénomène marquant des 15 dernières années - sont pratiquement terminés, insiste-t-il, ce qui ralentit le transport de pièces ou de produits finis d'un bout à l'autre du monde.

L'américaine Apple, par exemple, a annoncé au début de 2013 qu'elle produira des ordinateurs aux États-Unis. Un geste hautement symbolique, certes, car la plupart des composants des iPhone et des autres appareils d'Apple sont encore fabriqués en Asie. Mais cette décision confirmait un phénomène en croissance.

Au moins 37 % des sociétés américaines ayant un chiffre d'affaires d'au moins 1 milliard US prévoient ramener au bercail la totalité ou une partie de leur production, selon une récente enquête du Boston Consulting Group. Ce taux monte à 48 % pour les entreprises ayant des revenus de plus de 10 milliards US. Si bien qu'au final, départs et relocalisations sont en train de se rééquilibrer aux États-Unis, ajoute une étude de Hackett Group.

De plus, la technologie change (encore une fois) les façons de faire. De nouveaux outils - comme les imprimantes 3D - exercent des pressions en faveur d'une production locale; pourquoi faire fabriquer une pièce à l'autre bout du monde si une machine peut le faire aussi bien ou mieux chez vous, à moindre coût et sans délai de livraison?

Des fabricants occidentaux ont été échaudés par les ruptures d'approvisionnement après le tsunami en Thaïlande (2004), le séisme au Japon (2011) et les grèves dans des usines chinoises l'an passé. «Les impacts d'un choc à un endroit se diffusent rapidement aux autres régions», rappelle l'assureur européen Euler Hermes dans une vaste étude sur le commerce mondial.

Il y a aussi les consommateurs, qui modifient leurs habitudes; bon nombre d'entre eux aspirent à acheter davantage localement. Et on veut ses produits tout de suite, selon ses besoins particuliers.

C'est sans compter les pressions environnementales et politiques... Bref, l'heure est de plus en plus au «local»...

Le commerce régional en hausse

Cela dit, le commerce mondial n'est pas en train de couler à pic. Mais la géographie de ce phénomène, toujours en croissance, change rapidement.

Aujourd'hui, le commerce «intrazone» est en plein essor, notamment en Europe de l'Est, en Afrique et dans les autres régions en forte croissance, selon Euler Hermes. L'Asie-Pacifique, par exemple, représentait près de 32 % du commerce mondial en 2011 contre 25 % en 2001. Alors que l'Amérique du Nord a vu sa part glisser de 26 à 20 %.

Parallèlement, les échanges intrarégionaux dans l'ensemble des exportations asiatiques sont passé de 42 % en 1990 à 52 % en 2011, ajoute l'OMC. Autrement dit, les Asiatiques favorisent de plus en plus le commerce avec leurs voisins.

Les marins, entre-temps, n'ont pas à s'inquiéter. Car la voie maritime demeure le mode de transport de marchandises de longue distance prédominant, loin devant l'avion. En excluant le commerce intracontinental, le transport maritime capte 90 % (en volume) du commerce mondial.

Mais de nouvelles voies s'ouvrent sur les mers, et d'autres se referment.