Le cabinet d'avocats McCarthy Tétrault possède l'une des vues les plus spectaculaires sur Londres. Vers l'ouest, la Tamise et les immeubles historiques des vieux quartiers s'étendent à perte de vue, 26 étages plus bas. Le paysage change du tout au tout vers l'est, où une forêt de nouveaux gratte-ciel futuristes est en train de transformer le visage de la City.

Les bureaux de la firme canadienne, tout juste rénovés, sont loin de détonner dans cet environnement opulent. Les affaires sont bonnes, et cela se sent. «C'est un bon moment pour être Canadien en ce moment à Londres!», lance avec le sourire Robert J. Brant, associé directeur de McCarthy Tétrault à Londres et président de la Chambre de commerce Canada-Royaume-Uni.

M. Brant nous a accueillis à la fin mai pour discuter de l'arrivée de Mark Carney à la tête de la Banque d'Angleterre (BdA) le 1er juillet. Loin de faire des vagues, la nomination d'un Canadien pour diriger l'institution fondée en 1694 a été saluée de façon quasi unanime ici. Surtout, elle est venue consolider l'intérêt récent - et de plus en plus vif - envers les dirigeants issus du «Canada inc».

Le matin de notre rencontre, une autre Canadienne faisait justement la manchette des journaux britanniques. Moya Greene, ancienne patronne de Postes Canada présidente de la Royal Mail depuis 2010, a contribué à presque tripler les profits de la société d'État au cours de la dernière année. La Terre-Neuvienne a ainsi pavé la voie à sa privatisation, qui pourrait se faire grâce à des milliards de dollars en capitaux canadiens.

Le Québécois Normand Boivin fait aussi sa marque depuis 2011 comme chef d'exploitation de l'aéroport londonien d'Heathrow - l'un des plus importants de la planète. Sans parler de George Iacobescu, un Canado-Roumain nommé à la tête du conseil de l'important groupe immobilier Canary Wharf, et de quelques autres figures moins connues.

Des banques fortes

Certains parlent ici d'une «saveur du mois»; d'autres, d'une véritable «Canadamanie». Chose certaine, le profil rehaussé des dirigeants d'origine canadienne ne passe plus inaperçu dans la capitale européenne de la finance, souligne Andrew Thomas, associé de Fasken Martineau à Londres, le plus grand cabinet d'avocats canadien en sol britannique.

«Je parlais avec le haut commissaire lundi dernier, et il soulignait que si vous voulez que vos lettres soient postées à temps en Grande-Bretagne, pas de problème, une Canadienne dirige les Postes, note-t-il. Si vous voulez vous assurer que l'économie se porte bien, un Canadien se chargera bientôt de la BdA. Et si vous voulez être sûrs de partir à temps pour vos vacances, c'est un Canadien qui gère l'aéroport d'Heathrow!»

Pourquoi ce respect soudain envers le Canada Inc.? La bonne tenue des banques canadiennes pendant et après la crise mondiale de 2008-2009 l'explique en bonne partie.

«L'environnement réglementaire est très solide, et on peut aussi dire que le Canada a peu de «bagages «, contrairement aux États-Unis ou à d'autres anciennes puissances coloniales, souligne Andrew Thomas, rencontré dans ses bureaux près d'Oxford Circus. Je dirais que les gens regardent les Canadiens sans idées préconçues.»

Signe de cet engouement, une conférence des six économistes en chef des principales banques canadiennes, organisée à Londres à la mi-juin, a connu un succès monstre. Comme c'est le cas depuis la première de l'événement il y a quatre ans, tous les billets se sont envolés en quelques jours.

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Quatre Canadiens à Londres 

1. Mark Carney

Gouverneur de la Banque d'Angleterre

Secteur: finances publiques

De l'avis général, Mark Carney a fait un travail remarquable pendant son mandat à la tête de la Banque du Canada (BDC). Avant d'occuper ce poste crucial pour l'économie canadienne, le natif des Territoires du Nord-Ouest, diplômé d'Harvard et d'Oxford, a accumulé les expériences dans les secteurs privé et public. Il a travaillé pendant 13 ans chez Goldman Sachs à Londres, Tokyo, New York et Toronto, avant de devenir sous-gouverneur de la BDC en 2003, puis sous-ministre délégué des Finances l'année suivante. Il entre officiellement en poste le 1er juillet à la tête de la Banque d'Angleterre, ce qui en fera le premier étranger à diriger la vénérable institution.

2. Moya Greene

Chef de la direction de Royal Mail

Secteur: postes

La Terre-Neuvienne a fait ses marques dans les secteurs public et privé au Canada. Elle a occupé des postes d'importance chez TD Securities et Bombardier, en plus de participer à la privatisation du CN. Elle a aussi contribué à redresser les finances de Postes Canada pendant son passage comme présidente, en accélérant l'automatisation des processus. Moya Greene a pris la tête de Royal Mail en 2010, ce qui en fait la première étrangère et la première femme à occuper ce poste prestigieux. Le bénéfice d'exploitation a presque triplé au cours de la dernière année financière, passant de 152 millions à 403 millions de livres sterling.

3. Normand Boivin

Directeur de l'exploitation de l'aéroport d'Heathrow

Secteur: transports

Le Québécois a une expérience de plus de 30 ans dans le secteur du transport aérien. Il a commencé sa carrière comme contrôleur aérien pour Transport Canada, puis a occupé plusieurs fonctions dans divers aéroports du pays. Il était directeur des opérations chez Aéroports de Montréal avant de devenir le numéro 2 de l'aéroport d'Heathrow en août 2011, en tant que directeur de l'exploitation. Heathrow est l'aérogare la plus fréquentée d'Europe, avec presque 70 millions de passagers l'an dernier et 184 destinations desservies. Quelque 1300 avions y décollent et atterrissent chaque jour.

4. George Iacobescu

Président de Canary Wharf Group

Secteur: immobilier

George Iacobescu dirige l'un des plus importants groupes immobiliers d'Angleterre. Né en 1945 en Roumanie, il a immigré en 1975 au Canada où il a vite gravi les échelons dans l'industrie immobilière. Il a notamment été directeur de la construction de Homeco Investments à Montréal. Sir George Iacobesu est arrivé à Londres à la fin des années 80, où il a participé à plusieurs des plus gros projets des deux dernières décennies. Il est devenu chef de la direction de Canary Wharf Group en 1997, puis président du conseil en 2011. Le portefeuille immobilier du groupe vaut plus de 5,2 milliards de livres (8,3 milliards de dollars canadiens).