Ni électricité, ni gaz! À l'usine Kohinoor, c'est en brûlant des billots de bois par milliers que les ouvriers continuent à fabriquer des draps, symbole de la grave crise énergétique qui secoue le Pakistan au point de s'inviter dans la campagne électorale en cours.

La situation désespère Taufique Sayeed Saigol, patron de cette immense manufacture employant 4.000 personnes à Rawalpindi, cité industrielle bordant la capitale Islamabad. «C'est ridicule!», peste-t-il devant l'AFP.

Le Pakistan est confronté à la pire crise énergétique de son histoire. La production électrique est très inférieure aux besoins des industriels et particuliers, et le gouvernement manque d'argent pour importer de l'essence et alimenter ses centrales thermiques. Et, une fois l'électricité ainsi produite, ne la vend pas assez cher pour compenser le coût de production.

Du coup, le pays est confronté à des coupures oscillant entre huit et seize heures par jour selon les régions. Deux fois plus qu'il y a cinq ans!

Chez Kohinoor, qui transforme le coton en draps, couvre-lits et autres couettes de coton exportés aux États-Unis et en Europe, chaque coupure entraîne le même ballet. Les machines se figent, relayées par d'énormes générateurs qui brûlent du fioul à grand prix, engloutissant une large part des bénéfices.

«Sur la seule journée d'hier, nous avons perdu entre 13 et 14 heures de production», se plaint le grand manitou de cette entreprise familiale.

L'usine a aussi besoin de vapeur d'eau pour javelliser et imprimer les motifs sur ses produits. Mais faute de gaz quatre jours par semaine, elle s'en remet aujourd'hui à un four géant nourri de bûches de bois. À l'ancienne!

La production a chuté, et la compagnie vu s'envoler des contrats lucratifs, notamment avec le géant américain de la distribution Walmart. Et dû licencier.

Idem pour les particuliers. Pouvoir en permanence s'éclairer ou brancher un ventilateur, maigre rempart face aux longs étés étouffants, est désormais un luxe inaccessible pour l'écrasante majorité des 180 millions de Pakistanais.

Même le gaz naturel comprimé (CNG) pour les véhicules, très populaire car moins cher, se fait rare, et d'interminables files de véhicules s'allongent désormais jusqu'aux stations-services les jours où il est disponible.

Au-delà de l'énergie, c'est toute l'économie de ce géant musulman frontalier de l'Inde et de la Chine qui stagne malgré une main-d'oeuvre abondante et bon marché.

Ses réserves en devises étrangères ont fondu à 6,7 milliards de dollars, ce qui couvre moins de deux mois d'importations. Et le pays doit encore rembourser plus de 4 milliards de dollars au Fonds monétaire international (FMI) ces deux prochaines années, ce qui rend la situation intenable.

Pour Werner E. Liepach, directeur de la Banque asiatique de développement (ADB) au Pakistan, le Pakistan ne pourra sortir de la crise «sans un nouvel accord avec le FMI» après les élections.

La croissance a été de 3,7 % l'an dernier, mais compte tenu de la démographie galopante, elle devrait être de 6 ou 7 % pour absorber les jeunes sur le marché du travail.

Or pour l'ADB, la seule crise énergétique coûte à elle seule deux points de croissance au pays. Signe des temps, sa résolution figure, avec la sécurité et la lutte contre l'inflation, en tête des promesses des partis politiques pour les élections générales du 11 mai.

Le Parti du peuple pakistanais (PPP), au pouvoir depuis 2008, peine à convaincre qu'il n'a pas précipité ou fait empirer les choses. Et ses principaux opposants, le PML-N de l'ancien Premier ministre Nawaz Sharif et le PTI de l'ex-gloire nationale du cricket, Imran Khan, dénoncent son échec et promettent de mettre fin à la crise d'ici deux à cinq ans.

«Je ne crois plus personne! Les politiciens font des promesses pour remporter les élections, puis ils oublient tout», tonne Muhammad Shahid, qui fait la queue pour le CNG dans son petit taxi.

Dans son usine impeccable, Taufique Saigol ne sait pas pour qui voteront ses milliers de salariés et leurs familles qui vivent, mangent et dorment sur place. Mais il semble au moins savoir qui ils ne soutiendront pas: «pensez-vous qu'ils vont voter pour le parti qui n'a pas résolu cette crise?»