Siemens. Un fleuron de l'industrie allemande, avec 365 000 employés dans le monde et des produits allant des trains à grande vitesse aux turbines à gaz en passant par l'imagerie médicale.

> À lire aussi: Un coup de main pour les moins favorisés

Beumer & Lutum. Une boulangerie bio de Berlin qui, avec 130 employés, produit 4000 miches de pain par jour pour le marché local.

Bien que très dissemblables, ces deux entreprises ont un point commun: comme 500 000 autres entreprises allemandes, elles forment des apprentis en vertu du système de formation professionnelle dual de l'Allemagne.

C'est un système dans lequel l'entreprise joue un rôle prépondérant. Les apprentis passent de trois à quatre jours par semaine en entreprise et le reste du temps dans une école spécialisée pour un apprentissage plus théorique.

Les entreprises paient la majeure partie des dépenses liées à ce système. Leur contribution s'établit autour de 5,6 milliards d'euros (7,6 milliards de dollars) par année alors que celle des länder (l'équivalent des provinces) tourne autour de 2,9 milliards d'euros (3,9 milliards de dollars).

À elle seule, Siemens a dépensé 183 millions d'euros (248 millions de dollars) en formation en Allemagne en 2012.

Un bon investissement

«Nous pensons que c'est un bon investissement parce que les employés qualifiés sont à la base de notre succès», affirme Michael Friedrich, responsable des communications chez Siemens, rencontré dans une ancienne usine d'équipement de connexion de Berlin qui abrite maintenant le principal centre de formation professionnelle de la multinationale allemande.

Dans le grand édifice de briques brunes, les salles de classe côtoient des ateliers où s'affairent des jeunes en salopettes bleues. Siemens offre des programmes de différents niveaux, des techniques d'usinage au baccalauréat en ingénierie.

Les entreprises allemandes ne sont pas obligées d'offrir de la formation dans le cadre du système dual. En fait, seulement 25% d'entre elles le font. Ce faible pourcentage est cependant trompeur: la très grande majorité des sociétés qui ne participent pas au système sont des sociétés de très petite taille (moins de 10 employés) qui n'ont tout simplement pas les ressources nécessaires pour former des jeunes.

Beumer&Lutum a jugé que le jeu en valait la chandelle. La petite boulangerie, installée dans un quartier populaire de Berlin, compte six apprentis en boulangerie et trois en pâtisserie.

«Nous trouvions qu'il était important de faire quelque chose pour la profession de boulanger, qui n'était pas vue de façon positive», raconte Joachim Seidel, maître-boulanger et chef de production de l'usine, dans un modeste bureau où s'infiltrent des odeurs de farine. «C'était vu comme un travail physique, quelque chose qu'on faisait quand on ne pouvait pas apprendre un meilleur métier.»

Or, les exigences en fait de qualité sont très élevées dans le monde de la boulangerie bio. Les besoins en main-d'oeuvre qualifiée sont énormes.

«L'entreprise est en croissance, souligne-t-il. Nous avons commencé avec 5 personnes il y a 20 ans, nous sommes maintenant 130.»

L'Allemagne fait justement face à un important défi démographique.

Bombardier Transport

«Le taux de natalité est faible comparativement à d'autres pays européens, affirme le président de Bombardier Transport, André Navarri. C'est un pays dans lequel on sera en déficit en matière de main-d'oeuvre qualifiée. Les ressources seront difficiles à trouver.»

Bombardier Transport, qui compte environ 9000 employés en Allemagne, investit donc dans la formation dans le cadre du système dual.

«Tout naturellement, à la fin de la formation, les gens entrent chez Bombardier, note-t-il dans une entrevue au siège social de Bombardier Transport, à Berlin. C'est un système très efficace.»

Le département de l'Éducation, de la Jeunesse et des Sports du Sénat de Berlin (l'équivalent du ministère de l'Éducation au Québec) collabore avec les chambres de commerce et les syndicats pour faire augmenter le nombre de places pour les apprentis dans les entreprises.

«Le nombre de places en formation dépend souvent de la situation économique, affirme Eberhard Rau, directeur des études auprès du service de l'enseignement professionnel du département. Lorsque l'économie fonctionne bien, il y a plus de places. Pour le moment, la situation structurelle est positive.»

À l'heure actuelle, environ 1,6 million d'Allemands suivent une formation dans le cadre du système dual, soit plus de la moitié des jeunes Allemands. La formation, qui vise 348 métiers ou occupations, s'étale normalement sur trois ans. Pour les apprentis, les avantages sont nombreux: ils obtiennent une certification reconnue dans tout le pays, ils augmentent leurs chances de décrocher un emploi et ils reçoivent un salaire de 400 à 900 euros par mois (540 à 1200$), selon le métier choisi.

Le système représente également des avantages pour les entreprises: outre le fait de s'assurer une main-d'oeuvre qualifiée, elles réduisent leurs coûts de formation après l'embauche et la loyauté du personnel est favorisée. «Lorsqu'une entreprise ne participe pas au système dual, son image s'en ressent dans la société, soutient M. Rau. Elle est vue comme une entreprise qui ne s'engage pas.»

Les industries qui participent au système ont un autre avantage: elles ont leur mot à dire sur le contenu du programme de formation. Les chambres de commerce, par exemple, font passer les examens de fin de formation.

La société en général profite également de ce système, soutient un haut fonctionnaire du gouvernement fédéral qui ne veut pas être nommé. Lorsqu'il y a une crise financière, comme celle qui a frappé l'Europe, le taux de chômage chez les jeunes demeure très raisonnable grâce à leur formation pratique, soit autour de 8% l'automne dernier. Par comparaison, le taux de chômage atteignait 56% chez les jeunes Espagnols et 58% chez les jeunes Grecs. «Il y a là toute une génération perdue», déplore Jost-Pter Kania, du Centre de formation et de technologie de la Chambre des métiers manuels de Berlin.

Tout n'est cependant pas rose. Le système semble en effet perpétuer un clivage entre les jeunes hommes et les jeunes femmes.

Environ 42% des apprentis sont des femmes. Mais elles se concentrent dans les professions libérales (comme les emplois de bureau) et les services domestiques (comme la coiffure). Seulement 26% des apprentis dans les métiers manuels et techniques (comme la mécanique) sont des femmes.

«L'industrie nous dit qu'il y a un manque d'apprentis dans les secteurs techniques, indique M. Rau. Pour cette raison, nous essayons d'inciter les jeunes filles à aller dans ces secteurs.»

------------------

DES RACINES PROFONDES

Moyen Âge

Les racines du système dual de formation sont profondes en Allemagne.

«La formation en entreprise, offerte par des maîtres, remonte au Moyen Âge», affirme Eberhard Rau, directeur des études auprès du Service de l'enseignement professionnel, division du département de l'Éducation, de la Jeunesse et des Sports du Sénat de Berlin. «C'est une très longue tradition.»

1860-1870

Le système dual a vu le jour à l'époque de l'industrialisation, vers 1860-1870, lorsqu'il est devenu évident qu'il fallait améliorer les connaissances théoriques des apprentis. Au début, cette formation théorique s'est donnée dans les grandes entreprises.

Début du XXe siècle

Au début du XXe siècle, les collèges techniques ont commencé à apparaître.

Années 20

Dans les années 20, le système, qui était jusqu'alors concentré dans les métiers manuels, s'est étendu aux occupations commerciales.

Maintenant

Le système fait maintenant l'objet d'un grand consensus social.

«Il est reconnu dans la société, affirme M. Rau. Il n'y a pas de connotation négative qui y est rattachée.»

À l'étranger

Sans une telle tradition et un tel consensus social, le système dual serait difficile à implanter à l'extérieur du pays.

«On nous demande parfois pourquoi nous n'avons pas, en Chine et en Inde, un centre de formation comme celui que nous avons ici à Berlin, indique Katharina Steier, directrice du programme de certification des systèmes mécatroniques du centre de formation professionnelle de Siemens. Ce serait difficile puisque le système est fondé sur une longue tradition. Nous pourrions offrir certains éléments-clés à l'extérieur de l'Allemagne, mais pas le système intégral.»

-----------------

16 millions: nombre d'apprentis

58%: Proportion de garçons

42%: Filles

348 Métiers

500 000 : Nombre d'entreprises participantes, soit 25% de toutes les sociétés en Allemagne

Source: Institut fédéral de la formation professionnelle

--------------------


5,6 milliards d'euros: Financement de la part des entreprises

2,9 milliards d'euros: Financement de la part des länders

Source: ministère fédéral de l'Éducation et de la Recherche

------------------

Taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans (novembre)

Allemagne 8,1%

Autriche 9%

Pays-Bas 9,7%

Royaume-Uni 20,2%

France 27%

Italie 37,1%

Espagne 56,5%

Grèce 57,6%

Source: Eurostat