La taxe sur les dépôts bancaires prévue dans le plan de sauvetage de Chypre négocié avec l'UE, qui touche durement les avoirs russes dans l'île, casse l'image d'«une Europe civilisée» et devrait provoquer un rapatriement des capitaux russes en Russie, estimait lundi la presse à Moscou.

Le gouvernement grec a par ailleurs tenu à rassurer les épargnants durant la fin de semaine, assurant que les comptes dans les succursales de banques chypriotes en Grèce ne seraient pas soumis à la taxe exceptionnelle sur les dépôts, annoncée samedi matin dans le cadre du plan de sauvetage de Chypre.

«Les dépôts dans les succursales de banques chypriotes en Grèce sont tous exemptés de la décision de l'Eurogroupe concernant Chypre et la stabilité du système bancaire est totalement maintenue», a assuré le ministère grec des Finances, dans un communiqué.

La zone euro et le FMI ont trouvé samedi à Bruxelles un accord sur un plan d'aide à Chypre d'un montant «de 10 milliards d'euros maximum», soit bien moins que les 17,5 milliards d'euros demandés au départ par Nicosie.

Cet accord a été conclu, en échange d'une taxe exceptionnelle sur les dépôts bancaires qui rapportera environ 5,8 milliards d'euros.

Décision sans précédent, cette taxe sera de 6,75% pour les dépôts inférieurs à 100 000 euros et 9,9% pour ceux qui dépassent ce montant. A cela s'ajoute une retenue à la source sur les intérêts de ces dépôts.

Parmi les autres mesures, figurent un relèvement de l'impôt sur les sociétés qui passera de 10 à 12,5% et des privatisations.

La taxe exceptionnelle doit toucher tous les comptes à Chypre. Les Chypriotes et les résidents étrangers de l'île étaient samedi sous le choc après l'annonce faite à Bruxelles.

Le Parlement chypriote devait se prononcer dimanche sur cette taxe avant que les banques ne rouvrent leurs portes mardi, lundi étant férié.

Juste après l'annonce de l'accord, des dizaines de Chypriotes et d'étrangers, très nombreux sur l'île, s'étaient précipités devant les banques, pour retirer de l'argent aux distributeurs automatiques.

Chypre est devenu samedi le cinquième pays de la zone euro à bénéficier d'un plan d'aide international, après la Grèce, l'Irlande, le Portugal, et l'Espagne qui a reçu une aide ciblée de la zone euro pour son secteur bancaire.

Réactions en Russie

«La situation autour de Chypre montre que les déclarations sur l'économie européenne plus développée et civilisée que celle de Russie ne sont qu'un mythe», écrit le quotidien pro-gouvernemental Izvestia.

L'annonce de la taxe «est un acte barbare de type soviétique», estime l'expert Pavel Medvedev, cité par le journal.

«Seuls les bolchéviks pratiquaient de telles choses pendant la guerre! Aucun autre pays au seuil d'une faillite n'a jamais agi de la sorte», s'indigne également le milliardaire Alexandre Lebedev, cité par Izvestia.

«Même si les Russes payent toutes ces taxes, ils ne travailleront plus avec Chypre (...) et la fuite des capitaux va être colossale», affirme M. Lebedev, actionnaire d'Aeroflot et propriétaire des journaux britanniques Evening Standard et The Independent.

«La nationalisation chypriote va provoquer le rapatriement (en Russie) des capitaux russes», a résumé Izvestia.

«Que doivent faire ceux qui ont placé leurs avoirs à l'étranger? Les transférer en Russie, car la situation en Europe empire et les mesures de l'UE deviennent de plus en plus draconiennes», estime de son côté le quotidien populaire Komsomolskaïa Pravda.

Pour le président de l'Association des banques de Russie Gareguine Tossounian, cité par le quotidien, «cacher son argent à l'étranger est la plus grande bêtise, car le rouble est l'une des devises les plus stables depuis des décennies. Et les banques (russes) aussi».

L'agence Moody's a estimé à 19 milliards de dollars au 1er septembre 2012 les seuls avoirs de sociétés russes placés à Chypre.

S'y ajouteraient 12 milliards de dollars d'avoirs de banques russes dans des établissements chypriotes, selon la même source.

Réunion lundi

Le Parlement chypriote doit se réunir lundi pour entamer le processus de ratification du plan de sauvetage négocié avec l'Union européenne qui a exigé que tous les dépôts bancaires soient taxés, en contrepartie d'un prêt de 10 milliards d'euros.

Cette réunion parlementaire avait initialement été fixée à dimanche mais a été reportée.

Le président Nicos Anastasiades a estimé dimanche avoir choisi l'option «la moins douloureuse» en acceptant samedi à l'aube ce plan de sauvetage européen.

Il a toutefois espéré que l'Eurogroupe amende ses décisions pour limiter l'impact sur les petits déposants de ce plan visant à sauver le pays de la banqueroute, le premier dans l'Union européenne à mettre largement à contribution l'ensemble des déposants.

Le Parlement est engagé dans une course contre la montre pour valider l'accord avant que les banques ne rouvrent leurs portes en principe mardi matin, lundi étant férié.

De nombreux déposants mécontents ont en effet fait état de leur intention de retirer leurs fonds des banques.

Les débats au Parlement chypriote risquent d'être houleux, le parti communiste Akel, qui dispose de 19 sièges sur 56 au Parlement, et les socialistes de l'Edek (5 sièges) ayant d'ores et déjà rejeté le plan de sauvetage, également critiqué au sein du Diko (centre-droit, 8 sièges), allié du parti de droite Disy du président.

Chypre avait initialement demandé 17 milliards d'euros.

Afin de réduire leur participation à ce prêt, les bailleurs de fonds ont demandé à Nicosie d'instaurer une taxe exceptionnelle de 6,75% sur tous les dépôts bancaires en-deçà de 100 000 euros et de 9,9% au-delà de ce seuil.

Ces prélèvements, censés rapporter 5,8 milliards d'euros, seront appliqués à toutes les personnes résidant sur l'île.

Selon M. Anastasiades, les déposants obtiendront des actions dans les banques touchées par la crise en échange des prélèvements.

Ceux qui garderont leur dépôt pour plus de deux ans recevront des obligations grâce aux recettes de l'État liées à l'extraction attendue de gaz naturel au large des côtes de l'île méditerranéenne, a-t-il précisé.

À la défense de la décision

Le secrétaire général de l'OCDE Angel Gurria a estimé dimanche que la taxation des dépôts bancaires exigée en échange du plan de sauvetage de Chypre était préférable pour les épargnants aux «pertes sérieuses» qu'ils auraient subi en cas de faillite du secteur bancaire.

«Aujourd'hui, tous ceux qui ont de l'épargne à Chypre protestent contre la taxe, mais ils seront très contents de la payer parce que l'alternative était naturellement d'avoir des pertes, très sérieuses», a lancé le dirigeant de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

«Il aurait pu y avoir des pertes énormes», en l'absence d'assistance financière, a-t-il martelé, et un plan d'aide sans contrepartie aurait créé un «aléa moral», autrement dit un encouragement à des comportements risqués, a-t-il ajouté.

«C'est une solution originale, et on nous assure que ce ne sera pas un précédent» pour d'autres pays de la zone euro, a également estimé M. Gurria, qui s'exprimait lors d'un entretien à Radio France internationale (RFI) et à la chaîne de télévision francophone TV5 Monde.