Après avoir été éclaboussée par des affaires de corruption en Libye et en Tunisie, SNC-Lavalin se retrouve maintenant en pleine tourmente algérienne. Au coeur du scandale, Farid Bedjaoui, play-boy algérien qui a longtemps résidé à Montréal. Sa famille y vit toujours.

La firme québécoise de génie-conseil SNC-Lavalin a décroché des milliards de dollars en contrats en Algérie depuis 30 ans. Mais, comme en Libye, sa bonne fortune risque maintenant de prendre fin dans ce pays d'Afrique du Nord.

Le 10 février, la justice algérienne a ouvert une enquête sur des affaires de corruption au sein de Sonatrach, la société d'État responsable de la gestion des hydrocarbures en Algérie.

Or, SNC-Lavalin a obtenu de Sonatrach des contrats d'une valeur de 6 milliards de dollars au cours de la dernière décennie.

La firme a admis qu'elle avait fait affaire avec Farid Bedjaoui, l'homme au coeur du scandale de corruption à Sonatrach.

M. Bedjaoui a agi à titre d'intermédiaire entre SNC-Lavalin et la société d'État algérienne. Grâce à lui, la firme aurait obtenu des contrats d'une valeur d'au moins 1 milliard de dollars.

M. Bedjaoui était impliqué dans des entreprises liées par contrat à des filiales de SNC-Lavalin, selon Leslie Quinton, porte-parole de la firme. «Ces contrats ont été négociés par d'ex-employés de la compagnie et, au meilleur de notre connaissance, étaient à l'époque des arrangements faits dans le cours normal des affaires.»

Une enquête en Italie

Le scandale a d'abord éclaté en Italie, où le parquet de Milan enquête sur des pots-de-vin de 262 millions de dollars payés à M. Bedjaoui par la firme pétrolière Saipem, afin d'obtenir huit contrats d'une valeur de 14 milliards avec Sonatrach.

Le ministre algérien de l'Énergie, Youcef Yousfi, a prévenu qu'il serait inflexible envers toute personne impliquée dans des affaires de corruption au sein de la société d'État.

Mais un ancien vice-président de Sonatrach, Hocine Malti, n'y croit pas. Les «parrains» de Sonatrach sont de très hautes personnalités, avec lesquelles traitent les corrupteurs. «Ces gens-là sont intouchables», regrette-t-il.

Contrairement à ses voisins, le pouvoir algérien n'a pas été ébranlé par le printemps arabe. Le régime des généraux reste solidement en place et n'a pas intérêt à pousser les enquêtes trop loin, disent les critiques. L'Algérie est considérée comme l'un des pays les plus corrompus du monde - en 150e place sur 174 au classement de Transparency International.

«Je doute que les enquêteurs algériens aillent très haut dans la hiérarchie politico-militaire concernée», dit M. Malti, qui souligne qu'une première enquête de corruption à Sonatrach, lancée il y a trois ans, s'est enlisée dans les méandres de la justice et de la politique.

Malgré tout, l'Association algérienne contre la corruption internationale (AACC) réclamera aujourd'hui l'ouverture d'une enquête judiciaire sur SNC-Lavalin, a appris La Presse.

«J'avoue que ces nouvelles révélations m'ont donné la nausée et ont provoqué en moi beaucoup de tristesse pour ce qui arrive à mon pays», a dit le porte-parole de l'AACC, Djilali Hadjadj, dont le militantisme anticorruption lui a attiré au fil des ans bien des tracasseries (et même six mois de prison en 2010) en Algérie.