Aircelle, une filiale du groupe français Safran, avait un problème.

Les principaux concurrents du fabricant de nacelles (une coque qui renferme le moteur), Goodrich, Spirit et Middle River (GE), étaient des entreprises américaines. Afin de réduire leurs coûts, la plupart ont ouvert des usines au Mexique pour la fabrication de certains composants.

«Pour faire face à ces dispositifs de la concurrence, nous avons pris un dispositif semblable, raconte le directeur général de l'usine d'Aircelle à Nouaceur, en banlieue de Casablanca, Benoît Martin-Laprade. Nous avons transféré une partie de nos coûts au Maroc.»

Aircelle a commencé à s'implanter sur le site de l'Aéropôle, à côté de l'Aéroport international de Casablanca, en 2006. Avec maintenant près de 500 employés, l'usine fabrique notamment des inverseurs de poussée (des volets fixés sur les nacelles qui freinent l'appareil) pour des appareils d'Airbus, de Bombardier, d'Embraer et de Gulfstream.

«Nous voulons être la chaîne d'approvisionnement la plus compétitive dans le prolongement de l'Europe, affirme Hamid Benbrahim El-Andaloussi, le président du Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales (GIMAS). C'est comme le Mexique par rapport aux Etats-Unis.»

De toutes évidences, la stratégie fonctionne.

«L'aéronautique au Maroc, c'est une réussite exemplaire depuis 10 ans», soutient M. El-Andaloussi.

En 2001, l'industrie consistait en 10 entreprises. Dix ans plus tard, elles étaient plus d'une centaine. On comptait 300 employés en 2001, ils étaient plus de 8000 en 2011.

«Nous exportons un milliard de dollars par année et nous avons l'ambition de doubler la taille de l'industrie d'ici 2020», affirme M. El-Andaloussi.

Pour Aircelle, le choix du Maroc n'a pas été très difficile.

«C'est à portée de fusil, lance M. Martin-Laprade. Le Maroc est à deux heures de vol de Toulouse et à trois heures de Paris.»

Et puis, il y a la langue, le français étant très largement utilisé au Maroc.

«Cela facilite le transfert des connaissances, note Adel Bidaoui, directeur général de SERMP, une filiale du groupe Le Piston français.

SERMP, qui fait surtout de l'usinage de pièces pour de grands clients comme le fabricant de trains d'atterrissage Messier-Bugatti-Dowty et le motoriste Snecma, est un des pionners de l'industrie aéronautique marocaine. L'entreprise s'est installée dans la région de Casablanca en 1999, à la demande de Snecma.

L'appui du gouvernement marocain a été décisif.

«Il mise sur l'aéronautique, soutien le directeur de programmes de SERMP, Michel Cardoso. Il nous a vendu le savoir-faire du Maroc.»

La qualité de la main d'oeuvre marocaine a également constitué un facteur important pour Boeing, Royal Air Maroc et Labinal (une filiale de Safran). Elles ont créé la société Matis en 2001 pour réaliser au Maroc les faisceaux de câbles électriques du Boeing 737, de l'Airbus A320 et de biréacteurs d'affaires de Dassault Falcon.

«C'est une main d'oeuvre qualifiée, efficace, et l'encadrement est de haut niveau», affirme Sébastien Jaulerry, président de Matis.

L'entreprise emploie maintenant 700 employés, surtout des femmes, choisies en raison de leur dextérité dans le maniement de centaines de fils et de câbles. Parfois coiffées d'un voile, elles travaillent autour de grandes tables où sont fichés les divers circuits.

«La main d'oeuvre est moins chère qu'en France, on ne peut pas le cacher, indique M. Jaulerry. Mais surtout, elle est flexible. S'il faut donner un boum, les gens sont prêts à faire des efforts.»

RFM (Ratier-Figeac Maroc), une filiale française de la multinationale américaine United Technologies Corporation, a également choisi le Maroc pour maintenir ses coûts à un niveau raisonnable et ainsi demeurer compétitive.

«Ça nous a déjà permis de gagner des mandats avec l'Airbus A350 et le C919 de la société chinoise COMAC», affirme le responsable du site, Christophe Delqué.

RFM a inauguré son usine en septembre dernier. L'entreprise a commencé à y fabriquer de l'équipement de cabine de pilotage, notamment pour Bombardier, Airbus et Dassault. L'usine compte maintenant 55 employés, mais elle devrait en compter de 120 à 150 d'ici 2015.

RFM s'est installée à l'Aéropôle, près des autres joueurs de l'industrie aéronautique marocaine.

«C'est un avantage, surtout lors du démarrage, raconte M. Delqué. Tout le monde se connaît, s'entraide. Il y a une synergie avec nos grands frères, comme Safran et Aircelle.»

Une zone franche dédiée à l'aéronautique, Midpark, à côté de l'Aéropôle, viendra renforcer cette grappe industrielle au cours des prochains mois. Les entreprises qui s'y installeront n'auront pas à payer d'impôts sur les bénéfices au cours des cinq premières années et bénéficieront d'un taux de 8,75% au cours des 15 années suivantes.

Le gouvernement marocain a mis en place d'autres mesures pour favoriser l'industrie aéronautique, comme des subventions liées à la formation des travailleurs.

Le président de Matis, M. Jaulerry, qui a oeuvré en France, en Inde et aux Etats-Unis avant de s'installer à Casablanca, est catégorique.

«Si j'avais ma propre business, j'investirais au Maroc», lance-t-il.

L'ARME SECRÈTE

Les étudiants profitent un moment du chaud soleil marocain avant de regagner l'atelier de l'Institut des métiers de l'aéronautique (IMA).

Dans cet atelier les attend le même outillage que l'on peut retrouver dans les entreprises: four pour les matériaux composites, fraiseuses, machines à commandes numériques et machines conventionnelles, etc.

Avec la zone franche Midpark, l'IMA est une des mesures phares mises en place par le Maroc pour favoriser la croissance d'une industrie aéronautique locale. L'institut est issu d'un partenariat entre l'État marocain, le Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales (GIMAS) et l'Union des industries des métiers de la métallurgie de France. Financé par l'État, il est géré par le GIMAS. Il vise donc à répondre précisément aux besoins de l'industrie.

Les étudiants passent 15 jours à l'institut et 15 jours en entreprise. Et lorsqu'ils sont à l'IMA, il passent 30% du temps en classe et 70% en atelier.

«La mission de l'IMA est de former des techniciens qualifiés et leur donner une culture de sécurité et de qualité, affirme le président du GIMAS, Hamid Benbrahim El-Andaloussi. Dans ce métier, le permier atout est la compétence. Nous ne sommes pas en train de nous battre sur les coûts de la main-d'oeuvre. Nous réussirons dans la mesure où nous pourrons avoir des compétences de niveau mondial.»

Pendant sa première année d'existence, en 2011, l'IMA a formé 300 personnes. En 2012, l'institut en a formé 400.

«Nous devrions atteindre notre régime de croisière en 2014-2015, avec de 800 à 1000 étudiants par année», indique le responsable du développement de l'IMA, Raphaël Samson.