Personne n'a dit que l'Europe allait facilement se remettre en marche après cette crise financière. Les reprises économiques sont presque toujours laborieuses. Si bien qu'un petit pas prometteur vous mène parfois à des embûches imprévues.

C'est ce qui se passe de l'autre côté de l'Atlantique ces jours-ci. Après une baisse de régime inquiétante à la fin 2012, l'économie allemande - le moteur de l'Europe - montre des signes encourageants en ce début d'année. Une bonne nouvelle.

Cependant, cela s'accompagne d'une hausse étonnante et surprenante de l'euro. Une mauvaise surprise pour les exportateurs européens, qui dépendent des marchés étrangers pour garder la tête hors de l'eau.

Allemagne et France

L'Europe avait pourtant amorcé l'année du bon pied, surtout l'Allemagne.

Confiance accrue des gens d'affaires (indice Ifo). Plus forte hausse de l'activité industrielle (indice PMI, janvier) depuis un an. Nette amélioration des intentions d'achat des consommateurs, après des ventes de détail très décevantes en décembre...

Une bouffée d'air frais, en somme, après que Berlin eut confirmé que la première économie européenne a succombé à la crise européenne l'automne dernier. Sur le seul quatrième trimestre 2012, l'économie allemande s'est contractée de 0,5%, après trois trimestres de gains.

Heureusement les exportations, le carburant de la locomotive allemande, ont progressé de 4,1% pour l'ensemble de l'année, davantage que les importations (+2,3%), selon l'agence fédérale Destatis, qui note que «le recul des exportations vers les pays de l'Union européenne a été plus que compensé par la hausse des exportations hors de l'Europe».

Autrement dit, la grosse machine allemande peut compter sur la demande de ses clients dans les économies émergentes en Asie et en Amérique latine.

«L'euro est trop haut»

Mais l'optimisme s'effrite dès qu'on franchit le Rhin en allant vers l'ouest. La France s'inquiète ouvertement de la hausse spectaculaire de l'euro, qui a touché la semaine dernière un sommet en 15 mois face aux dollars américain et canadien - à près de 1,37$CAN - et son plus haut niveau depuis 34 mois face au yen. Ces taux de change pèsent sur les exportations même s'ils allègent le coût des importations, en particulier l'énergie.

«L'euro est trop haut par rapport à ce que l'économie européenne est en droit d'attendre», a tonné le ministre de la productivité française, Arnaud Montebourg, qui a l'impression de nager contre un puissant courant.

D'où vient cette vigueur de l'euro? La baisse des tensions sur les taux d'emprunt des pays moribonds de la zone euro - l'Espagne et l'Italie surtout - a rassuré cet automne les investisseurs qui, depuis deux mois, se ruent sur les obligations européennes à haut rendement.

Cette forte demande donne des ailes à la devise européenne. Selon les économistes, la France est plus menacée par une envolée de l'euro que d'autres pays de la région, du fait de ses exportations industrielles plus sensibles aux prix.

Critique récurrent de l'euro fort, l'ancien patron d'Airbus, Louis Gallois, presse les autorités européennes d'agir. Il estime que chaque hausse de 10 cents de l'euro représente 1 milliard d'euros de moins dans les coffres d'EADS, la maison mère d'Airbus, dont l'essentiel des ventes est libellé en dollars américains.

Une étude de Deutsche Bank établit à 1,22-1,24$US le niveau de l'euro à partir duquel l'économie française est fragilisée. Pour l'Italie, ce niveau serait de 1,16-1,17$US, tandis qu'il serait de 1,54-1,94$US pour l'Allemagne et de 1,83-1,90$US pour l'Espagne. Bref, les industriels français et italiens nagent déjà en eau trouble.

Jean-Claude Juncker, le président de l'Eurogroupe, a cru bon de s'en mêler la semaine dernière, estimant que l'euro atteint «des niveaux dangereusement élevés».

Pas besoin d'acheter un Airbus pour saisir l'impact de la forte appréciation de l'euro.

Les Québécois qui ont visité l'Europe en août dernier pouvaient acheter 1 euro pour aussi peu que 1,23$CA (taux officiel des banques) à ce moment. Au taux actuel de 1,37$CA/euro, cela représente un coût additionnel de 11% pour les voyageurs. Pour les Japonais, c'est +27% en six mois.

Si l'euro continue son ascension, beaucoup de touristes vont donc revoir leur projet de vacances pour l'été prochain.

Une autre tuile pour les commerçants français et italiens qui s'arrachent déjà les clients locaux trop rares et mal en point. Pas facile de sortir d'une crise.