Au tournant de 2013, l'Inde lancera le plus grand programme au monde de soutien aux démunis: 720 millions de personnes - plus de deux fois la population de l'Amérique du Nord - recevront de l'État un montant d'environ 730$ chacune (40 000 roupies) qu'elles pourront dépenser à leur guise.

Cette distribution d'argent viendra remplacer les généreuses subventions que le gouvernement indien verse pour l'achat d'une panoplie de biens - dont l'essence, les aliments et les fertilisants -, mais qui seront abolies.

En accordant une aide directement aux plus pauvres, New Delhi espère redonner un coup de pouce à la consommation. Mais surtout, on veut ainsi réduire la corruption - énorme fléau dans ce pays de 1,2 milliard d'habitants.

En Inde, l'aide publique destinée aux citoyens aboutit en grande partie dans les poches de fonctionnaires corrompus et d'autres intervenants, déplorent les critiques, ne laissant que des miettes aux démunis.

La nouvelle politique attendue en janvier s'inscrit dans la rafale de mesures que le gouvernement de centre gauche de Manmohan Singh a annoncées à la mi-septembre pour remodeler l'économie.

Ce «big bang» de réformes - qui touchera le secteur aérien, l'assurance et le commerce de détail notamment - est le premier changement majeur proposé au plan économique depuis 1991.

Compte tenu de l'état actuel des choses en Inde, les experts font généralement ce commentaire: il était temps.

En perte de vitesse

Plombée par une forte inflation (9,75% en octobre), un déficit budgétaire énorme et une croissance économique en perte de vitesse, l'Inde a perdu une partie de son charme exotique qui attirait les investisseurs au cours des dernières années.

En fait, les mauvaises nouvelles s'accumulent ces derniers temps. En septembre, la production industrielle a enregistré un recul-surprise de 0,4% (sur un an) alors que les experts tablaient sur une hausse de 2,8%.

La demande domestique faiblit également et, phénomène inquiétant, le «Made in India» n'attire plus autant les acheteurs sur les marchés extérieurs, les exportations ayant diminué de 1,6% en octobre.

Au final, l'économie indienne devra se contenter d'une progression de 5,5% environ cette année. Après 10 ans d'une croissance de rêve proche de 10% annuellement, le réveil est donc brutal pour le géant indien.

Sans compter que les finances publiques se détériorent rapidement, avec un déficit budgétaire équivalant à 5,8% de l'économie (PIB) - l'un des plus élevés d'Asie.

De sorte que les agences de crédit sont aux aguets. Standard&Poor's a récemment menacé d'abaisser la notation de l'Inde au rang d'«investissement spéculatif» ou «junk», ce qui serait une véritable gifle pour un pays aspirant au sommet des puissances mondiales.

Impact incertain

Le «big bang» annoncé en septembre a été brièvement salué par les marchés financiers et a changé l'image d'un gouvernement accusé d'immobilisme. Toutefois, leur impact sur une reprise durable reste bien incertain.

Le problème majeur se situe au plan politique. Le premier ministre Singh dirige un gouvernement de coalition fragile, alors que l'opposition s'oppose farouchement à certaines réformes qui suscitent la grogne populaire.

Le gros point d'accrochage concerne l'ouverture du commerce de détail aux grandes sociétés étrangères, dont les Walmart, Carrefour et IKEA de ce monde, qui rêvent de percer le marché indien.

En Inde, les petites échoppes appelées «kiranas» assurent l'essentiel du commerce de détail. Le secteur de la distribution dite «organisée» ne représente que 5 à 10% d'un marché énorme évalué à 450 milliards US.

Si bien que la firme indienne KSA Technopak qualifie l'Inde «de dernier grand territoire vierge» pour les grands détaillants.

Pour l'instant, la loi limite à 50% la participation étrangère dans les grands magasins généraux. Or, M. Singh veut enlever cette restriction -et d'autres touchant l'aviation et l'assuranc - dans l'espoir d'attirer une pluie d'investissements. L'opposition, soutenue par des millions de petits marchand, bloque cependant la mise en oeuvre des réformes.

«L'Inde a besoin de stimuler l'investissement. Et cela va se produire lorsque l'inflation et le déficit diminueront et que les réformes iront de l'avant», affirme Sonal Varma, économiste chez Nomura Holdings, dans une note financière.

Les besoins du pays sont énormes. L'une des priorités du gouvernement: restaurer les routes, le réseau électrique et les aqueducs, etc. Au total, il faudra 1000 milliards US d'ici cinq ans pour améliorer les infrastructures du pays, de l'aveu de Manmohan Singh.

Or, pour cet État lourdement endetté, impossible de réaliser ces projets titanesques sans investissements étrangers.

La relance l'économie indienne, malgré son potentiel énorme, est donc une tâche colossale. Professeure d'économie à l'Université Harvard, Gina Gopinath commentait la situation au Sommet économique mondial à Gurgaon, près de New Delhi, au début novembre. En résumé: l'Inde doit changer et vite, dit-elle.

«Pour un pays à ce stade de développement, aucune vraie politique de réformes n'a été menée en plus de 20 ans». Si les choses ne changent pas sous peu, «on risque encore longtemps d'évoquer la nécessité de relancer le pays», prévient-elle.