Le futur premier ministre chinois, Li Keqiang, a été l'un des principaux partisans d'un rapport de la Banque mondiale intitulé Chine 2030 et publié en février dernier. Les solutions préconisées par ce rapport, essentiellement la libéralisation économique, constituent la ligne de démarcation entre les «réformistes» et les «conservateurs» du nouveau gouvernement chinois, selon les sinologues.

«Li a accepté d'être cité comme un allié par le président de la Banque mondiale», relève Scott Kennedy, un politologue de l'Université de l'Indiana qui vient de publier Beyond the Middle Kingdom. «Avec le président Xi Jinping, ce sont les deux réformistes du nouveau comité permanent qui dirigeront le pays pendant les cinq prochaines années. Je suis sûr que les autres membres sont d'accord avec la nécessité de réformes. Mais ils sont âgés et ne voient probablement pas la nécessité de prendre des décisions à la hâte. Ils seront plus sensibles aux arguments des opposants aux réformes.»

Unanimité

Si des réformistes occupent les deux postes les plus importants, les conservateurs auront toutefois un droit de veto, parce que les décisions du comité permanent sont prises à l'unanimité. Les observateurs soulignent tous que l'ex-président Jiang Zemin (1992-2002) y a fait nommer cinq de ses alliés, signe de son influence toujours grande. Ces derniers sont toutefois âgés, ce qui les forcera à prendre leur retraite en 2017, alors que Xi et Li ne prendront la leur qu'en 2022.

«Zemin est un pragmatique, dit M. Kennedy. Il ne prendra pas de risques, mais il n'a pas hésité à libéraliser grandement l'économie dans les années 90 pour renverser le ralentissement économique qui a suivi la répression à la place Tiananmen, en 1989. Son successeur, Hu Jintao, était vu comme un réformiste, mais le début du millénaire a plutôt été le renforcement des monopoles des entreprises d'État.»

Signe de la difficulté à prédire les décisions des nouveaux mandarins, l'un de ceux dont l'arrivée au Comité permanent a causé le plus de surprises, Zhang Gaoli, était jusqu'à maintenant chef de la ville de Tianjin, où il a favorisé les entreprises d'État. Mais auparavant, il dirigeait Shenzhen, ville voisine de Hong Kong, où l'entreprise privée a explosé, note M. Kennedy.

Lutte contre les réformes

Pour compliquer le tout, les tenants de l'«exceptionnalisme chinois», voulant plutôt renforcer les entreprises d'État et les charger de l'amélioration des revenus et des services sociaux des pauvres, ont trouvé un martyr en Bo Xilai. L'ancien chef de la mégaville de Chongqing, au centre de la Chine, devait accéder au Comité permanent, mais est tombé en disgrâce après la condamnation de sa femme pour meurtre le printemps dernier, sur fond de corruption.

«Les maoïstes sont toujours actifs et luttent contre les réformes proposées par la Banque mondiale», explique David Kotz, économiste de l'Université du Massachusetts, vers qui l'éditeur du site maoïste RedChinacn a dirigé La Presse. «La Chine connaît une croissance phénoménale justement parce qu'elle refuse ces conseils depuis 30 ans. Tout comme les fonctionnaires en Occident, les employés des entreprises d'État sont des modèles qui permettent d'améliorer les conditions dans le secteur privé.»

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LA MARCHE À SUIVRE

Voici les principales recommandations d'un rapport publié en février par la Banque mondiale et le Centre de recherche sur le développement du Conseil d'État de la Chine. Chine 2030 est souvent présenté comme le plan nécessaire pour que l'empire du Milieu échappe au «piège des pays émergents», qui empêche l'entrée dans le club des pays riches.

- Restructurer les sociétés d'État pour encourager la concurrence

- Faciliter l'accès au crédit pour les entreprises privées

- Garantir les droits de propriété des terres des paysans

- Faciliter le mouvement de la main-d'oeuvre en éliminant le système du hukou, qui empêche les travailleurs migrants de bénéficier des services gouvernementaux des villes

- Permettre le flottement des taux d'intérêt

- Éliminer les barrières entre les économies chinoise et mondiale

- Faciliter le transfert de l'assurance maladie, de l'assurance emploi et des régimes de pension

- Rendre la croissance moins polluante

- Créer quelques universités de classe mondiale

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MÉRITOCRATIE OU DÉMOCRATIE

La Chine n'est pas une démocratie. Mais elle a mis au point depuis 30 ans un modèle unique de méritocratie, selon Daniel Bell, philosophe politique d'origine montréalaise enseignant à l'Université Tsinghua, de Pékin. «C'est un peu comme si les grandes écoles en France, qui forment une bonne partie de l'élite, étaient suivies par des examens réguliers au fil de la carrière, jusque dans la cinquantaine, dit M. Bell. Ça commence aux universités pour dirigeants. Seulement 1% des candidats sont admis. Ensuite, pour entrer dans le Parti communiste, il y a un autre examen très compétitif. Un autre pour devenir fonctionnaire. Un autre pour être promu au district. Je sais que, dans ce cas, il y a 9000 candidats pour un seul poste, en moyenne. Et ça continue. La longue tradition de mandarinat, qui date de 2000 ans, a été remise au goût du jour. Être né dans une classe privilégiée peut aider au départ, mais par la suite, seuls les candidats les plus méritants passent au travers de tous les examens.»