La volonté affichée du gouvernement français de revoir à la hausse le niveau d'imposition des riches contribuables se traduira-t-elle par un exode massif des mieux nantis vers des pays plus «accueillants» ?

La perspective est évoquée avec insistance par des élus de droite et des entrepreneurs, qui s'indignent de la volonté du président français François Hollande de prélever 75% des revenus supérieurs à 1 million de dollars.

Durant la campagne présidentielle, cette promesse surprise avait suscité une levée de boucliers immédiate dans le camp adverse. Le trésorier de l'UMP, Dominique Dord, avait prévenu que des «files d'attente» se formeraient à la frontière suisse advenant une victoire socialiste.

Outre-Manche, le premier ministre anglais David Cameron s'était empressé de faire valoir qu'il n'hésiterait pas à dérouler le «tapis rouge» à l'attention des entrepreneurs français désireux de déménager pour échapper à la ponction fiscale annoncée.

Les revenus additionnels serviront à payer «nos services publics et nos écoles», s'était félicité le politicien conservateur, en faisant valoir la décision récente de son propre gouvernement de réduire le taux d'imposition le plus élevé de 50 à 45%.

Même le lointain État américain du Mississippi s'était mis de la partie en promettant lui aussi d'accueillir à bras ouverts «les pauvres millionnaires français» surtaxés.

Bien que le gouvernement du premier ministre Jean-Marc Ayrault n'ait pas encore officialisé le nouveau niveau d'imposition, les médias français scrutent attentivement le moindre indicateur pour confirmer, ou infirmer, l'hypothèse d'un exode des riches.

Un blogueur du Monde relevait ainsi il y a quelques jours que des objets d'art d'une valeur de près de 700 millions d'euros ont été exportés vers la Suisse depuis le début de l'année comparativement à 430 millions l'année dernière. L'auteur note, sans conclure, qu'il pourrait s'agir de personnes partant à l'étranger ou de biens devant être exposés pour une longue durée... qui sont destinés à revenir.

Le responsable de la section immobilière française de Sotheby's, qui vend des biens de luxe, relève que l'offre de maisons de grande valeur «se porte à merveille» mais signale du même souffle que le volume de ventes est pratiquement inchangé par rapport à l'année dernière sur la première moitié de l'année.

Les avocats fiscalistes affirment par ailleurs avoir traité un nombre accru de demandes de délocalisations. C'est le cas notamment de Corinne Dadi, de la firme Stehlin et associés, qui dit avoir finalisé une douzaine de dossiers de délocalisation depuis le début de l'année alors qu'elle en fait normalement cinq ou six par année.

«J'ai en fait quatre uniquement pour le mois de juillet, ce qui est énorme», note la spécialiste, qui voit le taux à 75% comme «la goutte qui a fait déborder le vase» pour plusieurs riches contribuables. Ses clients favorisent surtout la Suisse et la Belgique.

L'avocat suisse Carlo Lombardini souligne, dans le journal suisse Le Temps, que «la plupart des Français tentés par l'exode fiscal ont déjà quitté la France depuis longtemps» et qu'il n'y a pas d'exode à grande échelle à attendre.

Les riches résidants qui songent à partir en sol helvète doivent composer avec une révision à la hausse des «forfaits» fiscaux traditionnellement offerts aux étrangers. Côté Belgique, où la fiscalité est traditionnellement plus avantageuse qu'en France, les difficultés économiques du gouvernement font craindre une hausse des impôts. Ce qui n'a pas empêché pendant la campagne le fondateur du site de rencontres Meetic de menacer de déménager là-bas.

Il y a quelques jours, un autre entrepreneur connu, Jean-Émile Rosenbaum, a menacé à son tour de s'exiler en fustigeant «le climat hostile à l'entreprise et à la richesse» qu'il dit percevoir dans l'Hexagone.

Plusieurs artistes et sportifs ont aussi dénoncé les intentions du gouvernement, incluant la chanteuse Françoise Hardy, qui s'était mérité quelques commentaires ironiques de François Hollande pendant la campagne après avoir évoqué sa crainte de se retrouver à la rue.

Le président, plus conciliant, songe à édulcorer le projet de manière notamment à rassurer les dirigeants des grandes entreprises françaises, qu'il a d'ailleurs rencontrés en comité réduit la semaine dernière.

Selon l'hebdomadaire Le Canard enchaîné, des dispositions pourraient être prises dans la loi des finances à venir pour exclure les artistes ou les sportifs du taux d'imposition à 75% et limiter son application dans le temps. Le gouvernement souhaiterait notamment éviter de voir la loi retoquée par le Conseil constitutionnel, qui a émis une mise en garde contre le recours à une fiscalité «confiscatoire».

Le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, avait esquissé une première ouverture durant l'été en soulignant qu'il fallait éviter de «limiter la prise de risque» économique par des ponctions excessives.