Le chaos dans la circulation routière. Des mineurs prisonniers sous terre. Des entreprises en panne, pendant que des employés se tournent les pouces...

Le gigantesque black-out de deux jours qui a paralysé l'Inde la semaine dernière, privant d'électricité 650 millions de personnes - soit la moitié de la population - est un cinglant revers pour ce pays qui aspire à devenir «une superpuissance mondiale» (1).

Un tel échec sur le front crucial de l'énergie risque même d'être fatal à cet égard, vu la réaction des médias et des experts, qui attise les doutes croissants des gens d'affaires.

Dans un pays où l'on ne plaisante pas avec la fierté nationale, le quotidien The Economic Times a littéralement enterré les rêves de grandeur des Indiens par ce titre assassin: «L'Inde superpuissance. Repose en paix».

1000 milliards

Même si le courant était rétabli en milieu de semaine, cette méga-panne est la conséquence d'un problème profond qui se résume ainsi: la production d'électricité n'a pas suivi la croissance économique effrénée et la demande de la population.

En Inde, où l'électricité provient à 65% du charbon en attendant la réalisation de projets de centrales nucléaires, les coupures de courant sont fréquentes.

Aux heures de pointe de consommation, l'offre est inférieure de 12% à la demande, selon les chiffres officiels. En manque de combustible, handicapé par un réseau vétuste et l'attente d'autorisations gouvernementales pour construire de nouvelles centrales, la société d'État Coal India ne parvient pas à répondre à la demande.

Le pays voudrait faire passer la part du nucléaire dans la production électrique de 3% actuellement à 25% d'ici à 2050, mais on attend toujours le lancement des travaux. Et l'économie en souffre.

Selon les experts de la Banque mondiale, l'insuffisance énergétique est «l'un des principaux obstacles au développement de l'Inde», 44% des foyers (56% en zones rurales) n'ayant pas accès à l'électricité.

Profitant de réseaux de distribution obsolètes, les vols d'énergie par des branchements bric-à-brac sont un sport national, et seuls d'énormes investissements peuvent régler le problème.

Selon la firme Goldman Sachs, il faudrait «des dizaines de milliards US» simplement pour mettre à jour le réseau actuel. C'est sans compter les investissements requis pour rajeunir et étendre un réseau routier désuet et insuffisant.

Au total, l'Inde doit trouver 1000 milliards d'ici cinq ans pour améliorer ses infrastructures, de l'aveu même du premier ministre Manmohan Singh. Un travail titanesque.

Le problème dans l'immédiat, c'est que les mesures pour améliorer la production et la distribution d'électricité frapperaient durement le consommateur. Selon le groupe de recherche Eurosia, la facture d'électricité pourrait s'alourdir de 40% dans certains États du pays.

De nombreux problèmes

Or, l'Inde est actuellement ébranlée par le ralentissement économique mondial et une inflation galopante qui suscite déjà la grogne populaire.

C'est pourquoi les milieux financiers deviennent de plus en plus sceptiques à l'égard de la troisième puissance d'Asie.

Les agences Standard&Poor's et Fitch ont récemment menacé de dégrader la note de l'Inde, en soulignant son large déficit public et une économie en perte de vitesse. La croissance est inférieure aux attentes: le PIB indien est tombé à 5,3% au premier trimestre - un creux en neuf ans.

Les investisseurs s'inquiètent aussi des nombreux scandales de corruption et de la lenteur du gouvernement à stimuler l'investissement étranger, notamment dans le domaine du commerce de détail.

Bref, ça fait beaucoup de problèmes à régler en même temps.

Si bien que l'Inde - un champion de la croissance avec la Chine, le Brésil et la Russie - risque de devenir le «premier ange déchu» du BRIC, prévient l'agence Standard&Poor's.

(1) L'Inde se hissera au sommet des superpuissances mondiales d'ici 2030, devant les États-Unis, a déjà prédit le Legatum Institute, un groupe de recherche établi à Londres.

Le gérant de l'hôtel Marriott Marquis, à New York, décrit ainsi l'impact de l'affluence touristique ces jours-ci dans la Grosse Pomme. «Les étrangers arrivent avec des valises vides, et repartent avec des valises pleines», disait Leon Goldberg à l'agence Bloomberg la semaine dernière. Vérification faite auprès des sources officielles, M. Goldberg dit vrai: les dépenses des visiteurs outremer aux États-Unis étaient en forte hausse de 8,1% pour la période d'un an se terminant le 31 mai. C'est presque le double de la croissance des exportations, pourtant un point fort de l'économie. Ce qui fait dire à l'agence Moody's que l'industrie du tourisme aux États-Unis s'est «complètement remise de la récession».