La France a emprunté lundi pour la première fois de son histoire à des taux négatifs, un phénomène qui illustre l'attrait de la dette française auprès d'investisseurs de plus en plus inquiets de la situation des pays du sud de la zone euro.

Paris rejoint le club fermé des pays européens qui bénéficient de rendements négatifs, avec l'Allemagne, les Pays-Bas, la Finlande, l'Autriche, le Danemark et la Suisse.

Emprunter à un taux négatif signifie schématiquement que les investisseurs acceptent de payer pour prêter de l'argent à un pays.

Paris a emprunté 3,917 milliards d'euros à un taux de -0,005% pour des titres de dette à échéance le 11 octobre, selon l'Agence France Trésor qui gère la dette française.

Elle a également levé 1,993 milliard d'euros à un taux de -0,006% pour des placements à échéance le 27 décembre.

Dans la mesure où les rendements évoluent à l'inverse des cours, cette faiblesse des taux signifie que jamais le prix des obligations n'a été aussi élevé. Autrement dit, la demande bat des records.

«Cela prouve qu'en ces temps de turbulences financières, la France fait figure de pays sûr», note Patrick Jacq, stratégiste obligataire pour BNP Paribas.

«L'intérêt de l'investisseur est de jouer la sécurité et de se prémunir contre les vents très défavorables qui soufflent en zone euro», notamment en Grèce, Portugal, Espagne ou même Italie, explique-t-il.

Contrairement à ces pays d'Europe du sud, la France n'est pas en récession, même si la croissance de son économie reste très faible.

Le gouvernement français anticipe une progression du produit intérieur brut de 0,3% pour 2012. Sur la même période, l'Espagne devrait voir son économie se contracter de 1,7% et l'Italie de 2%.

«Les investisseurs doutent de la capacité de ces deux pays à assainir leurs finances publiques vu la dégradation de leur situation économique», souligne Jean-François Robin, stratégiste chez Natixis.

Cette défiance profite mécaniquement au noyau dur de la zone euro.

Berlin a déjà emprunté deux fois à des taux négatifs depuis le début de l'année. Le pays a notamment placé, ce lundi, 3,29 milliards d'euros à six mois à -0,03%.

Aux yeux des analystes interrogés par l'AFP, la baisse des taux d'emprunt payés par Paris est amenée à se poursuivre.

Les investisseurs professionnels (fonds de pension, investisseurs institutionnels...) «sont obligés de détenir dans leur portefeuille des actifs notés 'triple A' (la meilleure note possible) par les agences de notation. Or ces placements ne sont plus si nombreux», note M. Robin.

La dette française est encore notée triple A par deux des trois grandes agences de notation (Moody's et Fitch). Elle est donc considérée comme telle par les opérateurs.

Par ailleurs, «le gouvernement semble pour l'instant vouloir tenir ses objectifs budgétaires, ce qui rassure les marchés», souligne M. Jacq.

Paris compte ramener le déficit public à 4,5% du produit intérieur brut en 2012 et à 3% en 2013. L'objectif est de revenir à l'équilibre budgétaire en 2017.

Pour respecter cet engagement, le gouvernement a annoncé la semaine dernière 7 milliards d'euros d'impôts supplémentaires en 2012.

«Attention au moindre dérapage, il sera sanctionné immédiatement par un envol des taux d'emprunt», avertit M. Jacq.

La situation de la France reste donc toujours fragile.

Pour preuve, la prime de risque payée par le pays par rapport à l'Allemagne (spread) s'inscrivait au-dessus des 100 points de base (1 point de pourcentage) sur le marché obligataire, là où s'échangent les titres de dette déjà émis par les États.

«Paris n'apporte tout de même pas les mêmes garanties que Berlin qui table sur un déficit de seulement 0,9% cette année», rappelle M. Robin.