Le pays a évité la crise de 2008. Il n'échappe pas à celle de 2012. La corruption, la lourdeur bureaucratique et les pénuries d'électricité plombent la neuvième économie mondiale. Et le gouvernement peine à mener des réformes.

Depuis quelques mois, Vimlesh Jaju est anxieux. Ce patron âgé d'une quarantaine d'années emploie 125 salariés dans son usine de câbles électriques à Sonepat, près de Delhi. Il y a un an, Vimlesh imaginait l'Inde comme un géant économique capable de rivaliser avec la Chine. «Je pariais sur l'arrivée d'entreprises étrangères. J'ambitionnais de devenir leur fournisseur», raconte-t-il.

Il décide d'investir 60 millions de roupies (1,1 million de dollars) pour moderniser son usine. Mais les investisseurs hésitent. Entre juin 2011 et mars 2012, le flux des investissements directs étrangers passe de 6 milliards de dollars américains par mois à 2 milliards au pays. «Notre carnet de commandes se vide», déplore Vimlesh. Son entreprise ressemble à l'économie indienne: le bateau cale et personne ne sait quand il va redémarrer.

La croissance au dernier trimestre 2011-2012 est tombée à 5,3% en rythme annuel. Sur l'ensemble de l'exercice, elle atteint 6,5%, contre 8,4% l'an passé. La performance est décevante pour le gouvernement qui avait bâti son budget sur une prévision de 9%.

Les signaux d'alarme résonnent depuis un an. Les exportations, qui contribuent à 20% du PIB, se tarissent depuis 9 mois. Sur l'exercice 2011-2012, le déficit commercial culmine à 185 milliards de dollars américains contre 104 milliards un an plus tôt. La roupie dégringole face au billet vert. Fin mai, elle a atteint un plus bas historique à 56 roupies pour 1$. Avant de remonter à 55 hier. Cette dévaluation fait grimper le prix de l'essence, ce qui alimente l'inflation. En avril, elle a galopé à 7,2% en rythme annuel contre 6,8% en mars. Un mot revient dans la bouche des économistes: stagflation.

Les hommes d'affaires rendent le gouvernement responsable de ce coup de frein. «Le pays doit revenir sur le chemin des réformes pour se développer», exhorte le président de la Confederation of Indian Industry, l'un des premiers syndicats de patrons. Réseau électrique inefficace, carcan administratif, corruption: le chantier est titanesque.

«C'est très compliqué d'investir en Inde, confie un cadre dirigeant d'une multinationale européenne établie au Tamil Nadu, dans le sud du pays. La fiscalité diffère selon chaque État de la fédération, poursuit-il. Les procédures administratives sont si complexes que j'en découvre de nouvelles en permanence. Pourtant, je travaille ici depuis trois ans.»

Cet investisseur a bataillé 18 mois pour acheter un terrain sur lequel il veut construire une usine. «Le prix des terres est l'un des plus élevés au monde, explique-t-il. Les parcelles sont très morcelées et les petits propriétaires en profitent pour demander des indemnités exorbitantes. C'est difficile de les exproprier tant les recours sont nombreux. En trois ans, j'ai vu plusieurs entreprises se décourager et quitter le pays.»

Corruption généralisée

Cette complexité administrative cache une corruption à grande échelle. En Inde, les règlementations sont le prétexte à toutes sortes de pots-de-vin. «Il y a quelques années, raconte Vimlesh Jaju, on payait les fonctionnaires pour qu'ils nous rendent service. Désormais, c'est de l'extorsion. Mon usine respecte les normes environnementales. Mais si je veux un certificat de conformité, je dois payer le fonctionnaire qui fera l'inspection. Dans mes dépenses, il y a deux postes qui ont explosé: le montant des pots-de-vin, qui a doublé, et la facture d'électricité. Depuis quatre ans, l'État promet de grands travaux pour moderniser le réseau électrique. Mais il n'a pris aucune décision et les coupures de courant s'allongent.» Vimlesh doit utiliser des générateurs diesel qui coûtent quatre fois plus cher que l'électricité fournie par le réseau.

L'Inde sortira-t-elle de l'ornière? Mercredi, le gouvernement a annoncé un programme de grands travaux. Mais aucune réforme économique ne devrait être votée dans les prochaines semaines. L'action du gouvernement fédéral est paralysée par une coalition hétéroclite au Parlement. En décembre 2011, sous la pression de la classe politique, le premier ministre Manmohan Singh avait annulé son projet d'ouvrir la grande distribution aux investisseurs étrangers. La législation leur interdit d'investir dans le commerce de détail. Elle plafonne aussi leur participation au capital des compagnies d'assurances, des groupes miniers, des compagnies aériennes... «Si le pays s'ouvrait davantage, les groupes étrangers se précipiteraient. Il y a un tel potentiel ici», s'exclame un diplomate en poste à Delhi qui aide les entreprises de son pays à s'implanter en Inde.

En attendant, les analystes scrutent... la météo. «La mousson comme prévu», titrait, soulagé, le quotidien Hindustan Times hier. Une bonne saison des pluies favorise la production agricole, freine l'inflation des produits alimentaires, dope le revenu des agriculteurs et la consommation intérieure. De quoi améliorer la conjoncture économique.