En août dernier, le monde a regardé avec effroi les Londoniens saccager leur ville. Mais personne n'était plus consterné que David Lammy, le député de Tottenham et auteur d'Out of the Ashes: Britain after the riots, que La Presse a rencontré.

Arrondissement du nord de Londres, Tottenham est célèbre pour son club de football, le Hotspur. Et pour l'émeute qui y a éclaté le 6 août dernier à la suite d'une manifestation pacifique pour protester contre le meurtre de Mark Duggan, un jeune Noir de 29 ans abattu par un policier au moment où il se déplaçait en taxi.

Comme un feu de broussailles, cette émeute s'est propagée à Londres et ailleurs en Angleterre sous les yeux du monde. Cinq personnes ont perdu la vie dans les saccages qui ont duré quatre jours.

Sur High Road, la rue principale, il ne reste plus trace de cette casse. Les pancartes «I Love Tottenham» invitent les passants à encourager les commerçants locaux, une enfilade de fruiteries, de rôtisseries, de barbiers, de boutiques de vêtements et de bric-à-brac.

En apparence, tout est au beau fixe. En apparence seulement, juge le député de Tottenham, David Lammy.

«Les gens sont si consternés de ce qui s'est produit que je n'entrevois pas d'autres dérapages à Tottenham. Mais les difficultés économiques et sociales sous-jacentes sont exactement les mêmes qu'avant l'éclatement des émeutes.»

Rencontré dans un petit café à quelques pas de sa résidence, David Lammy est un pur produit de Tottenham, ce quartier d'accueil pour immigrants qui fait penser à Côte-des-Neiges, à Montréal.

David Lammy et ses quatre frangins ont été élevés par leur mère, qui a émigré du Guyana en 1970. À 11 ans, il a remporté une bourse de choriste pour fréquenter l'école secondaire Kings' School de Peterborough. De retour à Londres, il a étudié le droit. Il a poursuivi ses études à Harvard, où il a fait la connaissance de Barack Obama. Il est le premier Britannique de race noire à y avoir décroché sa maîtrise en droit.

En 2000, à 27 ans, David Lammy a été élu député travailliste de Tottenham. De 2003 à 2010, dans les gouvernements de Tony Blair et de Gordon Brown, il a été tour à tour ministre des Affaires constitutionnelles, de la Culture puis de l'Éducation supérieure, entre autres.

David Lammy n'a jamais tourné le dos à Tottenham, où il élève ses deux enfants avec sa femme. Aussi était-il abattu en constatant l'ampleur du saccage en août dernier, 27 ans après les émeutes de 1985 qui avaient déchiré l'arrondissement après le décès de Cynthia Jarrett. Cette femme noire de 49 ans est morte d'une crise cardiaque après que des policiers eurent fait irruption dans son appartement en défonçant sa porte.

Mais alors que les émeutes de 1985 découlaient de tensions raciales, les causes des émeutes d'août dernier sont plus diffuses. Le quotidien The Gardian a mené une grande enquête avec le London School of Economics. Après avoir interviewé 270 émeutiers et analysé 2,5 millions de tweets conservés dans une base de données, ils ont conclu que les émeutiers étaient animés par une haine viscérale à l'endroit des policiers.

Près de la moitié des émeutiers étaient des étudiants. Mais chez ceux qui n'étudiaient pas et qui étaient en âge de travailler, 59% étaient sans emploi.

«Quand vous avez une bande de jeunes hommes qui n'ont rien à faire durant les chaudes journées d'août, c'est inquiétant, dit David Lammy. Tottenham affiche le taux de chômage le plus élevé de Londres. «Le désespoir est répandu chez les jeunes, qui ne savent plus à quoi s'accrocher.»

David Lammy ne croit pas que les difficultés économiques soient les seules responsables. Le député a été horrifié de voir des scènes de pillage où les émeutiers souriaient en vidant les commerces, par pur opportunisme.

L'absence de père dans les familles, l'idéalisation de la culture «gansta rap», le matérialisme sont aussi à blâmer, selon lui. Mais les épreuves économiques accablent les gens de Tottenham.

«Le coût de la vie a explosé, et il est très difficile de joindre les deux bouts, dit-il. La plupart des travailleurs de mon arrondissement cumulent deux emplois.» Chauffeur de taxi et gardien de sécurité. Serveuse et femme de ménage.

Les résidants de Tottenham sont souvent forcés de vivre à six ou sept dans un appartement de deux chambres, raconte-t-il. «Cela crée énormément de stress.»

Pour David Lammy, le gouvernement de coalition doit s'attaquer de toute urgence au chômage chez les jeunes. Pour y arriver, il doit troquer ses politiques d'austérité contre des investissements dans les infrastructures.

David Lammy se désole de la fin du Future Jobs Fund, un programme qui permettait aux jeunes de trouver du travail dans les secteurs public et parapublic. Cela s'ajoute à la hausse des droits de scolarité (maximum de 9000 livres par année ou 14 250 dollars) et à l'élimination de l'allocation pour les études.

Le nouveau programme d'apprentissage au travail est d'une portée trop limitée, et les jeunes ne sont pas de vrais apprentis, juge David Lammy. Une opinion que confirme Tony Yianni, directeur général de Winchmore Brickwork, croisé lors d'une foire de l'emploi à Enfield. «Walmart et Poulet Frit Kentucky ont détourné ce programme pour obtenir des travailleurs à rabais», déplore l'homme d'affaires.

L'auteur de Out of the Ashes: Britain after the riots juge qu'aucun pays ne peut prospérer en sacrifiant ses jeunes. David Lammy s'est toujours considéré d'un naturel optimiste, et en entrevue, il ponctue ses phrases de larges sourires. «Mais j'ai bien peur d'être à court d'espoir.»