La Presse a demandé à des économistes de toutes les grandes institutions financières leur appréciation des économies canadienne, américaine, européenne, britannique et chinoise ainsi que la démarche attendue de leur banque centrale respective. Ils sont unanimes à prédire une année 2012 difficile, mais où le Canada pourra surnager.

Nous entrons dans une zone de turbulences que nous pourrons sans doute traverser avec beaucoup de labeur et un brin de chance. La croissance mondiale sera plus faible qu'en 2011. La crise européenne ira s'intensifiant, les élections présidentielles américaines porteront sur des enjeux fiscaux déchirants et la Chine tentera d'attiédir une économie qui surchauffe depuis trop longtemps.

C'est à travers ces vents mauvais que la goélette économique canadienne devra naviguer. Parviendrons-nous à bien tenir la barre de notre Bluenose?

Quand le consommateur est à bout de souffle, que les gouvernements fédéral et provinciaux amorcent la remise à flots des finances publiques, que les débouchés extérieurs sont eux aussi affaiblis, il ne reste guère de ressort pour assurer la croissance.

«On sent que la demande intérieure canadienne perd de la force, note François Dupuis, de Desjardins. Elle ne devrait pas cependant s'effondrer.»

Elle pourra reposer sur les investissements des entreprises, mais ce n'est pas la panacée que d'aucuns croient, prévient Jacques Marcil, de la TD. «Le problème, c'est que l'investissement ne représente qu'environ 12% de la demande intérieure finale.»

Restent quelques grands projets d'infrastructures ainsi que l'espoir d'un pouvoir d'achat accru grâce au ralentissement de l'inflation.

Voilà pourquoi notre aréopage mise sur une expansion modeste aux environs de 2%, soit un peu moins que celle de 2011, à condition, bien sûr, que le contexte international ne vienne pas tout chambouler.

Mais à 2%, prévient Avery Shenfeld de la CIBC, «on ne pourra empêcher une augmentation du taux de chômage».

Le récif fiscal américain

Si l'économie américaine a gagné de la vitesse en fin d'année, elle sera bientôt à nouveau aux prises avec des hauts fonds sur lesquels elle pourrait s'échouer. «Je m'attends à ce que l'impasse budgétaire persiste jusqu'aux élections présidentielles», avance Sherry Cooper, de BMO Marchés des capitaux.

Stéfane Marion, de la Banque Nationale, se veut plus incisif: «Ce sera aux candidats à la présidence de proposer un plan de moyen terme pour encadrer la politique budgétaire américaine», clame-t-il.

L'enjeu est de taille: faute de plan budgétaire clair, des coupes automatiques de l'ordre de 300 milliards entreront en vigueur dès le premier janvier 2013. «Cela pourrait retrancher d'un point à un point et demi de pourcentage à la croissance», s'inquiète Carlos Leitao, de Valeurs mobilières Banque Laurentienne.

Nos experts divergent de vue quant à la possibilité de voir la Réserve fédérale se lancer dans une troisième ronde de détente quantitative, à moins d'une nouvelle crise financière mondiale. La Fed est déjà très accommodante, fait-on valoir, mais elle pourrait quand même tenter de stimuler le marché de l'habitation, enlisé depuis cinq ans déjà.

L'Europe, au coeur des ténèbres

L'oeil de la tempête qui menace l'économie mondiale est stationné sur la zone euro dont la crise financière ne se réglera pas de sitôt, ni sans plusieurs remous dangereux. «Les autorités fiscales et monétaires parviendront à contenir la crise, présume Craig Wright, de RBC. Toutefois, ces efforts, jumelés à des restrictions fiscales et à une incertitude élevée, se traduiront par une récession dans la région.»

Et elle fait des vagues. «Elle nous touche déjà par la forte chute de notre marché boursier, précise Mme Cooper. L'incertitude financière va se faire sentir tout au long de 2012.»

Bien sûr, certaines économies, telle l'Allemagne, s'en tireront mieux que d'autres, comme l'Italie, l'Espagne, sans parler de la Grèce dont le naufrage n'est pas encore évité. «Il faut que les dirigeants européens ainsi que la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international trouvent une solution durable», soutient M. Dupuis.

M. Marion plaide pour «une intégration plus grande des politiques sociales et des règles qui régissent les marchés du travail» tandis que M. Shenfeld signale qu'on «pourrait aussi assister à la recapitalisation forcée des banques».

Chose certaine, la BCE devra piloter avec dextérité dans la tempête et entrer en mode de détente quantitative. «Mais discrètement, à partir de ses opérations de refinancement à long terme qui sont, théoriquement, illimitées», prévient M. Leitao.

Elle a donné un avant-goût de sa puissance de feu, mais aussi des vagues de fond de la tempête, le 21 décembre, en prêtant sur demande 489 milliards d'euros à... 523 banques.

Dans cette tempête, le Royaume-Uni a une fois de plus joué la carte du sauve-qui-peut. Son vieux rafiot dispose d'atouts particuliers comme une banque centrale et une monnaie pour lui seul.

Mais c'est encore bien peu quand les éléments se déchaînent, comme l'a montré la crise financière de 2008 qui a démâté plusieurs de ses banques.

«David Cameron a fait une erreur stratégique de taille en s'inquiétant de son industrie financière plutôt que de jouer en équipe», juge M. Marcil. M. Marion estime que l'apport de la diplomatie sera essentiel à moyen terme pour briser la menace isolationniste.

Reste que M. Cameron s'est attaqué avec courage à la question fiscale, de sorte que l'économie britannique a de bonnes chances d'éviter la récession et de croître d'environ 1%, prédit M. Wright.

«La meilleure nouvelle pour Cameron, c'est que le pire de l'impact sur la croissance de son resserrement fiscal est désormais chose du passé», ajoute M. Shenfeld.

La Banque d'Angleterre pourra continuer de doper la salle des machines de l'embarcation britannique à condition que Londres garde le cap sur l'austérité budgétaire, ce qui lui permettra de refinancer sa dette à des taux nord-américains», précise M. Leitao.

Le navire amiral chinois

Depuis le début du siècle, la Chine s'affirme comme le navire amiral de l'économie mondiale. Cela ne la met pas à l'abri du naufrage, comme nous l'enseignent de triste mémoire les destins du Titanic ou de l'Empress of Ireland.

On mesure encore mal la sagacité dans sa capitainerie où s'opérera un changement de garde en cours d'année. Chose certaine, elle est très bien outillée.

«Avec des réserves en devises étrangères équivalant à 3000 milliards de dollars américains, la Chine dispose d'une force de frappe suffisante pour protéger son économie de chocs internes ou externes non anticipés», note M. Jestin.

Reste que les Chinois peinent à développer leur marché intérieur. Leur économie dépend trop encore des exportations, ce qui signifie que la nécessaire réévaluation de sa monnaie ne se fera pas aussi vite que le souhaite l'Occident.

«C'est aux politiciens de mettre en place un système de sécurité sociale pour inciter les Chinois à épargner moins», rappelle M. Marion.

Tâche titanesque qui exigera bien plus de temps qu'une année de tous les dangers où la menace nucléaire iranienne n'est encore que trop peu prise en compte.

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