Les derniers morceaux du rideau de fer économique sont tombés. Après 18 ans d'âpres négociations, la Russie adhérera finalement à l'Organisation mondiale du commerce. Sa candidature devrait être entérinée à la mi-décembre à Genève, lors de la conférence ministérielle des 153 pays membres, en même temps que celles de Vanuatu, de Samoa et du Monténégro. Selon les économistes, les conséquences sur l'économie russe devraient être largement positives. Mais l'ouverture des marchés à la concurrence extérieure pourrait menacer la survie de certaines industries non compétitives.

Pékin a mis 15 ans à s'entendre avec l'OMC. Moscou aura battu son record. Après l'adhésion chinoise en 2001, la Russie demeurait le seul acteur majeur de l'économie mondiale - 10e ou 11e selon les classements - à ne pas faire partie de l'organisation. Désormais, l'OMC couvrira 98% du commerce international, contre 94% précédemment.

Durant toutes ces années de négociations, les obstacles ont été nombreux. Moscou se voyait reprocher notamment ses maigres efforts pour combattre le piratage, ou encore son protectionnisme excessif et ses tarifs douaniers exorbitants.

Ironiquement, ce ne sont pas les Occidentaux qui se seront opposés le plus longtemps à son adhésion, mais d'anciennes républiques soviétiques, prises dans des guerres politico-commerciales avec Moscou. Alors que l'Union européenne et les États-Unis avaient déjà donné leur feu vert en 2004 et en 2006, l'Ukraine a utilisé le veto, dont dispose chacun des membres de l'OMC, pour bloquer la candidature russe dès sa propre entrée dans l'organisation en 2008. En cause: un différend sur le prix de la vente et du transit du gaz russe sur le territoire ukrainien.

Libéralisation

En adhérant à l'OMC, la Russie s'engage à une libéralisation progressive de ses marchés. Dès son entrée dans l'organisation ou au cours des prochaines années, les différents tarifs douaniers à l'importation diminueront d'environ un à cinq pour cent selon les secteurs. Plusieurs quotas et autres interdictions ou embargos imposés sur des produits étrangers devront être abandonnés.

Moscou s'engage également à limiter à 9 milliards en 2012 ses subventions agricoles, et à les réduire graduellement à 4,4 milliards d'ici 2018. Les banques étrangères pourront quant à elle ouvrir librement des filiales en Russie, tant que leurs capitaux n'accaparent pas plus de 50% du marché. L'alcool et les médicaments étrangers ne seront plus soumis à des licences d'importation. Dans quatre ans, le seuil maximal de 49% de capitaux étrangers, actuellement imposé pour les entreprises de télécommunication, sera supprimé.

Iaroslav Lisovolik, économiste principal au siège moscovite de la Deutsche Bank, croit que l'adhésion à l'OMC permettra d'attirer plus facilement les investisseurs étrangers. «La Russie deviendra un marché plus intéressant pour eux, car plus prévisible. Ils pourront se fier à un calendrier précis de libéralisation des différents secteurs de l'économie.» Actuellement, les investisseurs craignent de s'aventurer sur les marchés russes en raison de la corruption endémique, des règles et législations très changeantes et de l'ingérence politique dans le jeu économique.

Selon M. Lisovolik, l'entrée dans l'OMC devrait se traduire par une croissance additionnelle de 0,5 à 1% du PIB - prévue à 4,1% pour 2011 -, principalement en raison d'une hausse de la consommation des ménages. Ceux-ci profiteront d'une baisse des prix des produits importés et de l'arrivée sur le marché de nouveaux biens de consommation pour dépenser davantage.

L'afflux des produits étrangers risque toutefois de miner certaines branches non concurrentielles de l'économie nationale, comme les secteurs agricole, informatique et automobile. Jusqu'à maintenant, ces industries survivaient principalement grâce aux politiques protectionnistes de Moscou, au vaste marché intérieur de 142 millions d'habitants et à quelques exportations.

Le secteur métallurgique ressortira grand gagnant de l'intégration à l'organisation, estime M. Lisovolik. «Il pourra mieux défendre ses doléances en matière de dumping devant les instances d'arbitrage du commerce international.»

L'économiste de la Deutsche Bank croit que la Russie pourra désormais mieux orienter son développement économique vers les alliances commerciales avec des pays étrangers. Actuellement, Moscou négocie plusieurs accords de libre-échange, notamment avec la Nouvelle-Zélande, le Vietnam, et la Suisse. Elle espère également pouvoir entamer des pourparlers réels avec l'Union européenne.