La possibilité que la Grèce soit éjectée de la zone euro a rarement été évoquée de manière aussi ferme que maintenant. Conçue comme l'aboutissement du projet européen d'après-guerre, l'union monétaire vivrait alors un premier vrai revers. Quelles en seraient les conséquences?

Q: Comment la Grèce peut-elle quitter la zone euro?

R: Il faut d'abord distinguer adhésion à l'euro et adhésion à l'Union européenne. Tous les membres de l'Union européenne (UE) n'ont pas adopté l'euro lors de la création de la monnaie commune en 1999, comme c'est le cas du Royaume-Uni et de la Suède. Cela leur permet par exemple de profiter du libre-échange tout en n'étant pas partie de l'union monétaire. Or, tous les nouveaux membres de l'UE ont l'obligation d'adopter éventuellement l'euro. Actuellement, 17 des 27 membres de l'UE utilisent l'euro.Les pays qui adoptent l'euro ne peuvent pas revenir en arrière, à moins de quitter l'UE. Selon les traités européens, un pays peut être exclu de l'Union européenne s'il n'adhère plus aux valeurs européennes (liberté, démocratie, etc.). Les aspects économiques ne sont pas un motif d'expulsion. Un pays peut faire la demande d'exclusion et négocier sa sortie avec les autres membres de l'UE.Il n'y a pas d'entre-deux. Les traités ne prévoient pas le retrait d'un pays de la zone euro en même temps que son maintien dans l'UE. Sauf qu'il y a fort à parier que ce n'est pas le droit européen, mais plutôt l'urgence de la situation, qui décidera ultimement de la destinée de la Grèce.

Q: Pour la Grèce, quels seraient les impacts d'une sortie de l'euro?

R: Les impacts sont difficiles à évaluer, tant sur le plan national qu'européen. Il n'y a pas de précédent. Certes, la Grèce pourrait retrouver le contrôle de sa politique monétaire et n'aurait plus à se plier aux contraintes budgétaires de l'UE. Mais un retour à la drachme (la monnaie grecque avant l'arrivée de l'euro) ne se ferait pas sans heurts. Une sortie de la zone euro signifierait que la Grèce ne paierait plus qu'une petite partie de ses dettes, dans le meilleur des cas. La valeur de la monnaie plongerait. Il y aurait un risque sérieux d'hyperinflation. Les banques grecques pourraient être prises d'assaut avant la disparition de l'euro par de petits et grands investisseurs appréhendant cette perte de valeur. Il resterait à voir comment l'État grec gérerait la crise qui s'ensuivrait. Bref, on ne passe pas aisément d'une monnaie à une autre.

Q: Quels en seraient les impacts pour l'Europe et le monde?

R: Pour certains Européens dont les pays financent la survie d'Athènes, la Grèce est un boulet économique dont il vaudrait mieux se débarrasser. Mais on ne sait pas exactement quelles en seraient les réelles conséquences et c'est ce qui suscite la crainte.Certainement, cela remettrait en question la stabilité et la solidité de l'union monétaire. À court terme, à moins que les institutions européennes ne mettent en place un système pare-feu pour les créanciers de la Grèce, cela signifierait que les grands détenteurs d'obligations perdraient davantage qu'avec le plan de sauvetage actuellement à l'ordre du jour. Les institutions financières européennes en pâtiraient.Cela lancerait aussi un mauvais signal sur la crédibilité de l'Europe auprès des investisseurs. Si la Grèce est hors jeu, qui croira désormais que l'Europe sera prête à tout pour sauver l'Italie, l'Espagne ou le Portugal?Aussi, on ne sait pas trop comment l'exclusion de la Grèce, forcée ou volontaire, sera perçue par les marchés mondiaux. S'il y a panique, cela pourrait empirer une situation économique déjà précaire et créer une réaction en chaîne dans l'économie mondiale. Si la situation économique du Vieux Continent dégénère, cela pourrait faire ralentir la fragile croissance américaine. Et cela ne pourrait que nuire aux exportations canadiennes chez notre principal client.

- Ont été consultés pour cet article: Frédéric Mérand, professeur de science politique à l'Université de Montréal et directeur adjoint du Centre d'excellence sur l'Union européenne; Nanette Neuwahl, professeure de droit à l'Université de Montréal; Luc Savard, professeur en économie et développement international à l'Université de Sherbrooke.