«No more Hiroshima! No more Fukushima!» Devant le siège social de TEPCO, à Tokyo, les manifestants antinucléaires traduisent leurs slogans à l'intention des étrangers qui les observent. Comme si c'était nécessaire.

Il est facile de comprendre la violente réaction antinucléaire de la population japonaise à la suite du désastre causé par le tsunami à la centrale de Tokyo Electric Power (TEPCO), à Fukishima. Ce qui est plus difficile à expliquer, c'est la décision du gouvernement de se ranger immédiatement derrière l'opinion publique et de sortir le nucléaire du Japon.

Cette décision a plongé Japan inc. dans le désarroi le plus total. Remplacer le nucléaire? Mais par quoi? Et surtout, à quel prix? Les réponses sont encore à venir.

«Les entreprises sont prêtes à faire le virage vers les énergies renouvelables, dit le représentant du patronat, Goro Fukushima, qui porte le même nom que la ville où la catastrophe nucléaire s'est produite. Mais encore faut-il leur donner le temps nécessaire pour s'ajuster. Et ce n'est pas ce qui se passe du tout.»

Cette incertitude est insupportable pour les entreprises. «The show must go on, nous avons besoin d'électricité», dit le représentant patronal.

Dans un pays où la population et la consommation sont en déclin, cette nouvelle crise énergétique pourrait accélérer le départ à l'étranger des grands fabricants qui sont la fierté du Japon.

Spectaculaire volte-face

«C'est une très bonne excuse pour quitter le pays», estime le professeur Atsushi Seike. Celui qui est aussi président de l'Université Keio et membre du conseil consultatif sur la reconstruction qualifie de stupide cette décision précipitée.

«On dit que si l'Allemagne l'a fait, le Japon peut le faire aussi. Ce n'est absolument pas vrai. L'Allemagne va pouvoir continuer d'acheter de l'énergie des pays voisins, notamment de la France, et ironiquement, cette énergie sera de source nucléaire. Le Japon ne peut pas faire ça, il ne peut compter que sur lui-même.»

Selon lui, il est tout à fait irréaliste de croire que le Japon peut se passer complètement de l'énergie nucléaire. «On peut penser à réduire la part du nucléaire dans le bilan énergétique, mais pas l'éliminer complètement.»

S'il se débarrasse du nucléaire, ajoute Atsushi Seike, le Japon ne se débarrassera pas pour autant des risques puisque ses voisins, comme la Chine et la Corée, continueront de faire tourner leurs réacteurs.

L'énergie nucléaire compte actuellement pour 30% de toute l'énergie consommée par le Japon. Avant Fukushima, l'intention du gouvernement était de construire neuf autres réacteurs et d'augmenter cette part à 50% d'ici à 2030. C'est donc toute une volte-face qu'a faite le premier ministre Naoto Kan, avant de laisser son successeur Yoshimoto Noda se débrouiller avec les conséquences de cette décision.

Un choc salutaire

L'industrie nucléaire est un grand acteur sur l'échiquier économique japonais, et son poids politique est important. Jusqu'à la catastrophe de Fukushima, le nucléaire était considéré comme un secteur d'avenir pour accroître les exportations du pays. Il faudra faire une croix sur la vente de la technologie nucléaire à l'étranger si le Japon abandonne cette filière.

Tetsunari Iida a déjà travaillé pour l'industrie nucléaire. Il est passé de l'autre côté de la clôture et dirige maintenant l'Institut de politique énergétique durable, organisation à but non lucratif qui milite pour l'abandon du nucléaire.

Il ne nie pas que l'abandon du nucléaire aura des impacts négatifs sur la croissance économique. Le bilan environnemental du Japon souffrira aussi, puisqu'il faudra utiliser davantage d'énergie fossile, le temps que l'énergie renouvelable prenne la relève.

«Ces effets seront temporaires, soutient-il. Et le Japon a tout à fait les moyens de prendre ce virage.»

L'énergie renouvelable compte actuellement pour seulement 9% de toute l'énergie consommée au Japon. Tetsunari Iida estime que cette part pourrait augmenter à 20% en 2020, avec des mesures gouvernementales appropriées.

Le Japon n'est pas, comme l'Allemagne, entouré de voisins qui ont des surplus d'énergie, reconnaît-il. Mais Tokyo peut compter sur les régions, qui produisent plus d'énergie qu'elles en ont besoin, une énergie renouvelable comme l'hydroélectricité. «Vous devez penser que chaque région peut faire pour Tokyo ce que la France ou l'Espagne feront pour l'Allemagne», explique-t-il.

Cette énergie verte risque de faire grimper la facture énergétique. Selon les estimations du Centre japonais de recherche économique, l'abandon de l'énergie nucléaire pourrait retrancher 1,6% à la croissance économique du pays en 2012.

Selon le gouvernement japonais, l'énergie nucléaire est la moins coûteuse de toutes les formes d'énergie, à l'exception du charbon, plus polluant.

C'est faux, affirme M. Iida. Cette estimation ne tient pas compte des coûts cachés du nucléaire, comme la disposition des déchets radioactifs. Si on en tient compte, le coût par kilowattheure de l'énergie nucléaire est plus élevé que celui de l'énergie éolienne.

Les Japonais peuvent aussi réduire leur consommation d'énergie, selon Tetsunari Iida . Le Japon, qui n'a aucune ressource énergétique, n'est-il pas déjà champion de la frugalité? Autre fausseté, selon le spécialiste. «C'est un mythe, affirme-t-il. Il se gaspille beaucoup d'énergie ici.»

La preuve, selon lui, c'est que l'économie a continué de fonctionner avec seulement 14 des 54 réacteurs nucléaires en activité. «C'est 5% de l'énergie nucléaire disponible», souligne-t-il.

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BILAN ÉNERGÉTIQUE DU JAPON

10% RENOUVELABLES

10% CHARBON

20% PÉTROLE

30% NUCLÉAIRE

30% GAZ NATUREL

Source : Gouvernement du Japon