«Sans stratégie pour percer le marché chinois, une entreprise sera dépassée, deviendra vite désuète.» Cette constatation plutôt brutale est d'Albert Yu, président de la filiale de la Banque de Montréal en Chine, que j'ai rencontré dans ses bureaux de Pékin. Cette phrase, je l'ai entendue prononcer, à quelques nuances près, par Amir Levin, directeur général de Bombardier Sifang, avec qui j'ai discuté à Qingdao, où Bombardier en partenariat avec le groupe chinois Sifang, exploite une usine de fabrication de trains.                                                                

La Chine, c'est indéniable, est un marché en pleine ébullition, dont la croissance donne parfois le vertige. Un marché que tous convoitent. Qui ne rêve pas d'avoir accès a un bassin potentiel de plus d'un milliard d'habitants? La Chine est abondamment courtisée.  Elle a le loisir de choisir ses partenaires et ne se laisse pas conquérir facilement.

«Les Chinois apprécient qu'une entreprise se commette réellement envers leur économie. Une implication solide et d'excellents contacts sont cruciaux pour réussir dans le marché chinois.» Donald Stewart sait de quoi il parle. Chef de la direction de la Sun Life Financial depuis 1998, il est un des principaux architectes de l'implantation de cette société canadienne d'assurances en Chine. L'exemple de la Sun Life est riche d'enseignement pour toutes entreprise qui veut percer le marché chinois.

Calme, discret, mais néanmoins très efficace, Don Stewart est un assidu de la Chine. Il s'y rend au moins une fois par trimestre. Je l'ai rencontré, en juin dernier, dans les bureaux de la Sun Life à Hong Kong, siège social de toutes les opérations asiatiques de l'entreprise torontoise. Au fil des ans, cet homme, qui a d'ailleurs marié une Chinoise native de Pékin, a tissé d'excellentes relations avec les membres du gouvernement.

«Don Stewart est de plus en plus connu en Chine, me dira Xie Zhichun, vice-président exécutif de la China Everbright Group, 10e banque en importance en Chine et partenaire d'affaires de la Sun Life. Les autorités réglementaires chinoises lui sont dorénavant familières, poursuivra Xie Zhichun, qui est également président du conseil de Sun Life Everbright. Le fait que Don siège au conseil de la Geneva Association, un institut de recherche sur l'assurance et un groupe international de réflexion sur ce secteur, augmente sa visibilité en Chine et le respect qu'on lui porte. Le vice-président au développement économique chinois lui a même rendu visite lors de son passage à Pékin en mars ou avril dernier.»

Don Stewart prendra sa retraite le 30 novembre prochain. Dean Connor, actuellement chef de l'exploitation lui succédera à titre de chef de la direction. Ce dernier devra à son tour courtiser les autorités chinoises.

Pas de cadeaux

La percée récente de Sun Life en Chine remonte à 1998, sa toute première incursion date de 1892. Apres avoir quitté le pays en 1946, la société torontoise revient à la charge et, en 1998, reçoit un premier feu vert du gouvernement chinois. Il faudra cependant attendre 2002 avant que le partenariat formé avec China Everbright puisse vendre son premier contrat d'assurance.  «Il nous fallait un partenaire, on ne peut pas faire affaires en Chine sans partenaire», explique Don Stewart.

Si les Chinois acceptent que la Sun Life établisse un partenariat, c'est qu'ils ont besoin de son expertise. Dans les années 90, la Chine ne connaissait à peu près rien au secteur de l'assurance. En retour de l'accès au marché chinois, la société canadienne fournirait les connaissances en développement de produits, en gestion du risque et en calcul actuariel. Les Chinois ne font pas de cadeaux.

Le gouvernement chinois ne laisse pas non plus beaucoup de marge de manoeuvre. Le siège social de Sun Life Everbright est à Tianjin, une ville au nord de Pékin. Pourquoi Tianjin, une ville qualifiée de Tier 2?  «Nous ne pouvions pas décider nous-mêmes de l'endroit de notre siège social, explique Xie Zhichun. Les autorités réglementaires l'ont fait pour nous. En 2002, le marché de Pékin n'était pas ouvert aux sociétés étrangères. La ville de Tianjin était la première ville du nord à s'ouvrir aux étrangers et Sun Life Everbright a été la première à s'y établir.»

À compter de 2002, Sun Life Everbright connaît une croissance respectable. Mais le rythme n'est pas assez rapide au goût du partenaire. C'est la China Everbright qui, en 2009, propose la restructuration du groupe en une société domestique. Pour ce faire, Sun Life doit accepter que sa participation dans le groupe passe de 50% à 24,9%.

«En acceptant la proposition de notre partenaire, nous avons fait le choix du volume d'affaires. En devenant une société locale, le rythme de notre expansion en Chine va s'accélérer, nous pourrons capturer une plus grande part du marché chinois de l'assurance», m'explique Dikran Ohannessian, président de Sun Life Financial Asia.

Le gouvernement chinois sanctionnera cette restructuration en juillet 2010. La Sun Life Everbright devenait ainsi la première société étrangère à obtenir le statut de société domestique. Pourtant, la Standard Life avait aussi présenté  une demande similaire. « Peu importe que votre demande réponde à tous les critères nécessaires, ce qui compte en bout de ligne, c'est la décision du gouvernement. Il faut obtenir leur feu vert. À cette étape, les relations sont cruciales», souligne Don Stewart, qui a certainement dû faire travailler les siennes.

L'obtention du statut de société domestique porte rapidement fruits. Les ventes de primes triplent en 2010 par rapport à l'année précédente. Sun Life Everbright passe du 29e rang en 2009 au 20e des principales sociétés d'assurances en Chine. Tout indique qu'elle se situera au 15e ou 16e rang à la fin de 2011. L'objectif du président du Conseil, M. Zhichun, est de hisser son entreprise parmi les 10 plus grandes sociétés d'assurances d'ici trois à cinq ans.

Engagement à long terme

L'objectif est atteignable, mais néanmoins ambitieux. Le marché de l'assurance en Chine est contrôlé par un tout petit nombre d'entreprises. Les cinq plus grandes, qui sont bien sûr propriété du gouvernement chinois, détiennent 70% du marché, les 10 plus grandes, 90%. Les sociétés étrangères se partagent 4,5% du marché, ce qui demeure intéressant pour un pays populeux comme la Chine.

«Ce qui est fascinant, souligne Don Stewart, est la rapidité avec laquelle les Chinois ont appris. En 20 ans, ils ont créé d'immenses sociétés d'assurances qui se situent aujourd'hui parmi les plus importantes au monde, la China Life en est un bon exemple. L'ascension fulgurante du secteur chinois de l'assurance est à l'image de la progression tout aussi étourdissante de l'ensemble de l'économie chinoise.»

Le 25 avril 2012 marquera le 10e anniversaire de la vente de la toute première prime d'assurance du groupe Sun Life Everbright.  Malgré les progrès enregistrés, les efforts deployés, les contacts entretenus, les activités de Sun Life en Chine ne sont toujours pas rentables.

«Nous sommes ici pour le long terme, me dira une fois de plus Don Stewart d'un ton toujours aussi posé. C'est la seule façon de réussir en Chine.»

Patience et longueur de temps valent mieux que force et que rage dit l'adage. Dans le cas du marché chinois, il faut y ajouter, souplesse, contacts et des reins financièrement solides.

Le marché chinois est bel et bien un incontournable, encore faut-il avoir les moyens de s'y attaquer. Ce qui n'est pas donné à toutes les entreprises. Ce n'est pas un hasard si seulement quelques grandes sociétés d'ici ont réussi à s'y établir.

Pour percer le marché chinois, nos plus petites entreprises auront nécessairement besoin de support. Des missions comme celle du premier ministre Charest qui s'amorce demain sont essentielles pour tisser des liens. Il faudra cependant mettre les bouchées doubles, car pour l'instant, le soutien offert à nos PME est loin d'être suffisant. Lueur d'espoir, nos deux paliers de gouvernement en sont parfaitement conscients et travaillent à élaborer une solution.

Le Québec et la Chine

1- Les échanges commerciaux de biens entre le Québec et la Chine se chiffrent à 9,0 milliards US en 2010, soit une hausse de 16,9 % par rapport à l'année 2009. Cette hausse résulte de l'effet combiné de la hausse, à la fois des exportations et des importations. Au cours de la période considérée (2006-2010), la croissance de la valeur annuelle moyenne des échanges a été positive (4,1 %).

2- En 2010, la valeur des exportations du Québec à destination de la Chine s'établit à 1,7 milliards, en hausse de 49,8 % par rapport à l'année précédente.

3- La Chine est le 1er client du Québec en Asie (devant le Japon) et le 3e client du Québec au monde, en 2010.

4- En 2010, la valeur des biens manufacturés dédouanés au Québec (importations) en provenance de la Chine est de 7,3 milliards, soit une hausse de 10,6 % par rapport à celle de l'année 2009.

5- En 2010, la Chine est le 1er fournisseur du Québec en Asie et le 2e au monde.

Source: Note sur l'Économie et le Commerce avec la Chine, produite par la Direction de l'analyse économique, DGPSE, MDEIE.

La Chine en bref

PIB 1990:  357 milliards US  au 11e rang mondial

PIB 2010:  5878 milliards US au 2e rand mondial

Population:  1,338 milliard

PIB/habitants: 4260$ US

Les chiffres sont pour 2010 et sont tirés de la Banque Mondiale.