Les acheteurs d'obligations publiques se recrutent désormais de plus en plus hors des frontières des États qui les émettent, un phénomène qui a pu aider les pays à se financer, mais qui peut aussi les fragiliser, comme l'illustre l'actuelle crise de la dette.

En France, la proportion de détenteurs de bons du Trésor non-résidents était de 23% en 1988. Elle est désormais trois fois plus élevée (70% en décembre).

Cette internationalisation des porteurs d'obligations est un «fait marquant des trente dernières années», estime Guillaume Leroy, économiste auteur d'un fascicule «Qui détient la dette publique?» (éditions Fondapol, avril 2011). Selon lui, le phénomène est devenu «une donnée essentielle pour mesurer l'exposition des acteurs financiers à une crise souveraine».

L'internationalisation est particulièrement marquée en zone euro, où les dettes publiques sont détenues à 53% en moyenne par des non-résidents.

Les dettes des pays les plus en difficulté de la zone euro figurent parmi celles dont les détenteurs sont les plus internationalisés: 85% de créanciers non-résidents pour l'Irlande, 75% pour le Portugal, 71% pour la Grèce. Pour l'Espagne et l'Italie, cette part est de 44% pour les deux pays.

La proportion de créanciers non-résidents est plus faible pour les bons du Trésor émis par les États-Unis (30%) et surtout pour ceux du Japon: la dette publique nippone atteint le montant faramineux de 229% du produit intérieur brut, un record pour un pays développé, mais reste détenue à 92% par des créanciers japonais, investissant pour la plupart sur le long terme.

Conséquence directe de la libéralisation des marchés de capitaux dans les années 1980, l'internationalisation des marchés de la dette a permis aux États «d'accéder à un pool d'épargne mondiale considérable», explique M. Leroy.

Elle assure «une plus grande liquidité et permet de diversifier les sources de financement», ajoute Thomas Chalumeau, de la Fondation Terra Nova, proche du Parti socialiste français.

«Le volume de la demande potentielle s'accroît» et le comportement moyen des investisseurs est ainsi stabilisé, fait valoir sur son site l'Agence France Trésor, qui gère la dette française.

Mais ce phénomène a aussi rendu les États dépendants d'investisseurs «moins captifs», les gouvernements disposant de moins de moyens d'action sur des créanciers étrangers que sur leurs propres nationaux.

Aux États-Unis, dont le premier pays créancier est la Chine, les difficultés économiques sont une «source de friction croissante entre deux grandes puissances», observe M. Leroy.

La perte du triple A de la dette américaine a été fustigée par les médias officiels chinois. Les blogues spécialisés ont été assaillis de commentaires d'investisseurs inquiets, exhortant Pékin à limiter ses placements à l'étranger.

Le fait que beaucoup d'étrangers détiennent la dette d'un pays «est une bonne nouvelle quand tout va bien, signe que les investisseurs ont confiance», explique Jean-Christophe Caffet, économiste chez Natixis.

«Mais en période de crise, cela peut être ennuyeux», ajoute-t-il.

Pour autant, la détention mutuelle des dettes en zone euro devrait «plaider pour qu'on s'entende sur un budget commun» ou l'adoption d'obligations européennes, ce à quoi l'Allemagne se refuse actuellement, estime M. Caffet.