Une passation de pouvoirs entre Dominique Strauss-Kahn et Christine Lagarde à la tête du Fonds monétaire international donnerait une impression trompeuse de l'influence française au sein de l'institution, disent des Français du FMI interrogés par l'AFP.

Si Mme Lagarde est désignée directrice générale du FMI, ce sera la cinquième fois que la France obtiendra ce poste. Au total, les Français l'ont occupé plus de la moitié du temps depuis sa création en 1946.

Elle retrouvera à Washington environ 80 compatriotes. Elle pourra adhérer à l'Association des Français du FMI, du groupe Banque mondiale et de la Banque interaméricaine de développement à Washington.

Les grandes écoles et facultés françaises ont été ces dernières années un vivier sur lequel s'est penché le FMI pour diversifier son recrutement en économistes, traditionnellement dominé par les universités américaines.

En 2010, le FMI a envoyé des «missions de recrutement» dans vingt établissements de l'enseignement supérieur en dehors des États-Unis. Dont quatre français: le Centre d'études et de recherches sur le développement international (Cerdi, Clermont-Ferrand), l'École d'économie de Paris, l'Institut d'études politiques de Paris et l'université Paris-Dauphine.

Mais un fonctionnaire français du FMI confie, sous couvert de l'anonymat, ne pas trouver ses jeunes compatriotes très intéressés par une carrière à Washington: «La demande française n'est pas ce qu'elle devrait être. Le FMI reste vu d'un mauvais oeil. Et les étudiants sont tentés par les grandes écoles, des diplômes mal reconnus aux États-Unis où c'est le doctorat qui prime».

Selon lui, «ce n'est pas parce que le FMI a longtemps été dirigé par des Français qu'il a une sensibilité française. L'époque où il y avait des Français directeurs du département Afrique ou autres est bien révolue. Et, à la différence des Anglais, les Français n'ont pas beaucoup investi les niveaux intermédiaires, comme les chefs de mission».

Romain Rancière, un économiste entré au FMI en 2004 et en congé sans solde depuis 2010 pour enseigner à Paris, souligne qu'«une tradition est en train de disparaître, celle des fonctionnaires du Trésor qui venaient au FMI quelques années et repartaient à Bercy».

«Le Fonds considère que ce n'est pas très intéressant pour lui», d'avoir des fonctionnaires de passage, explique-t-il.

«L'autre voie empruntée par les Français est celle du doctorat en économie», ajoute M. Rancière. Mais «il n'y a pas d'influence française particulière en dehors de celle qu'ont eue quelques personnages marquants, comme Dominique Strauss-Kahn. Les traditions françaises comme celle d'une politique industrielle n'ont jamais eu les faveurs du FMI».

Le dernier rapport interne annuel sur la diversité au sein du personnel indique que la France est le troisième pays où ont été formés le plus de fonctionnaires du FMI, avec 4,4% des effectifs, soit guère plus que les droits de vote de la France (4,3%).

«Ce n'est rien si vous comparez avec les États-Unis, et si vous additionnez les États-Unis et la Grande-Bretagne», souligne un économiste français du FMI, s'exprimant sous couvert de l'anonymat. Ces deux pays forment 56,9% des fonctionnaires, une proportion d'autant plus élevée qu'on monte dans la hiérarchie.

«Il y a cette impression que le FMI c'est français parce que le chef est français. Mais c'est vraiment de la poudre aux yeux», explique-t-il à l'AFP. Pire, il a le sentiment personnel que «le FMI est un peu fâché avec les Français depuis l'affaire DSK, et même avant elle».

Fin 2010 et début 2011, avec des discours d'inspiration étatiste ou sociale, M. Strauss-Kahn «a eu des mots qui n'étaient pas attendus, venant de quelqu'un qui occupait sa fonction», rappelle, sous couvert de l'anonymat, un autre économiste français du FMI. Le patron français se plaçait alors nettement en décalage avec l'orthodoxie libérale du Fonds. Les Français vivent un peu la même chose plus bas dans l'échelle, où «ils sont considérés comme à gauche», estime cet économiste.

Si un Français, l'Amiénois Olivier Blanchard, a pu être recruté en 2008 au plus haut grade parmi les économistes, il a fait toute sa carrière aux États-Unis: il avait enseigné 26 ans au Massachusetts Institute of Technology (MIT).

Il a eu une position iconoclaste quand il a proposé en février 2010 de doubler l'objectif d'inflation des banques centrales à 4%. Face à la réaction unanime des banquiers centraux occidentaux qui ne voulaient pas en entendre parler, le FMI a précisé que ce n'était pas une recommandation officielle de l'institution.

Son prédécesseur, l'Anglo-Américain Simon Johnson, économiste en chef en 2007 et 2008, n'est pas de cet avis.

«Les Français veulent prendre le contrôle du processus de décision au FMI dans le but d'utiliser l'argent des États-Unis, du Japon et d'autres pays plus pauvres pour dissimuler à leurs propres électeurs que l'édifice de la zone euro a mis tous ses membres dans une situation budgétaire périlleuse», écrivait début juin sur un blogue du New York Times.

Pourtant, d'après Nicolas Véron, économiste français du Peterson Institute à Washington, «il est inexact de penser que Mme Lagarde puisse modifier la politique conçue collectivement par l'institution, pour la Grèce ou d'autres, contre l'avis de son conseil d'administration où les États-Unis ont une voix très importante».

Tout se joue au sein de cette instance, rappelle-t-il, et «on ne peut pas dire, malgré tout le respect qui lui est dû, que l'administrateur français ait une influence prépondérante» dans les décisions prises avec ses 23 collègues.

Interrogé par l'AFP sur l'influence française au FMI, un porte-parole de l'institution s'est refusé à tout commentaire.