Après l'eau courante, Sun Yueming redoute que l'électricité de sa maison, située dans un village déserté du nord de la Chine, soit coupée. Sa famille est l'une des deux dernières à résister au gouvernement local, qui veut les forcer à quitter la terre de leurs ancêtres et les installer dans des appartements.

Ces relocalisations, la plupart du temps forcées et faiblement compensées, font monter les tensions dans les campagnes, déjà agitées par des manifestations contre les méfaits du gouvernement.

La maison de Sun, en bois et briques rouges, haute d'un étage, est certes vieille et mal isolée, mais elle dispose de neuf pièces, d'une cour et de parcelles de terre pour cultiver concombres et tomates. Et c'est surtout le fief familial depuis des générations.

Les autorités locales veulent que Sun s'installe en échange dans un deux-pièces, avec chauffage central et des toilettes modernes, moyennant le paiement d'environ 4500$.

«Ils prennent ma maison. Ils devraient me donner de l'argent. Pourquoi aurais-je à payer?», s'indigne Sun Yueming, dans sa maison, située à une heure de route de Pékin.

À l'origine, cette nouvelle politique territoriale partait d'une bonne intention, mais elle a été récupérée par des responsables locaux corrompus et avides.

Cette politique, qui n'en est qu'à sa phase expérimentale, vise à conserver les terres agricoles, tout en encourageant le développement commercial. Les agriculteurs sont transférés dans des appartements afin que le terrain sur lequel leur maison est construite puisse être reconverti en terres cultivées. Le gouvernement local est alors autorisé à augmenter le quota de terre à développer ailleurs pour la même surface.

Aujourd'hui, les terres cultivées ont été réduites à 120 millions d'hectares, ce que le gouvernement considère le minimum nécessaire pour les cultures alimentaires: cela représente une perte de plus de 8 millions d'hectares par rapport à la dernière décade.

Certains responsables locaux s'empressent de délocaliser ces agriculteurs, car la vente des terres représente la moitié des revenus du gouvernement local, et dans certaines zones plus de 80%.

Ils y gagnent beaucoup, en compensant au final très peu les agriculteurs, déplore Xianfang Ren, analyste senior à Pékin pour IHS Global Insight, une entreprise de conseil. «Fondamentalement, ce projet représente une nouvelle source de terres pour de nombreux gouvernements locaux», souligne-t-elle.

Et Jiangzhuang est devenu un village fantôme: les portes et les fenêtres ont été arrachées de dizaines de maisons en ruines. Les cours sont encombrées d'objets abandonnés: chaises en bois cassées, un vieil ours en peluche jaune et sale. Le silence règne là où les chiens aboyaient et les enfants jouaient.

Mais certains agriculteurs sont satisfaits de quitter la terre pour de meilleures conditions de vie, en particulier ceux qui recherchent un travail dans les villes alentour.

Dans la ville d'Anping (province de Hebei), les anciens fermiers vivent dans des immeubles de six étages, garant leurs véhicules agricoles aux roues pleines de boue sur le stationnement, à côté des berlines impeccables de la résidence.

L'autre but de cette politique est de fusionner les villages éparpillés pour que les agriculteurs bénéficient d'un meilleur accès aux services publics tels que la santé.

Li Huishan se déclare heureux dans son appartement de 120m2 mais se demande combien de temps va durer l'argent qu'il a reçu avec sa femme. «Notre vieille maison avait beaucoup de fuites. Ce nouvel endroit est plus spacieux et plus agréable», souligne Li, 63 ans, en montrant les radiateurs muraux, la lumière.

Mais ce programme ne fait pas l'unanimité. Dans la province du Jiangsu, des centaines de paysans ont manifesté deux fois l'année dernière jusqu'aux bureaux du gouvernement de la ville d'Hua'an, pour dénoncer le non-versement de 70% des sommes que les autorités leur devaient après avoir déménagé, rapporte Li Jinsong, avocat d'un des agriculteurs.

Le producteur d'ail Wen Chungui, 81 ans, a abandonné son 5e d'hectare de terre en 2007 au gouvernement local, qui l'a ensuite vendu à des promoteurs pour plusieurs centaines de fois la somme qu'il reçoit en compensation annuelle. «Les promoteurs ont donné de l'argent au gouvernement, mais que nous est-il arrivé de bien?», déplore-t-il en secouant la tête.