Analyse. La triple catastrophe japonaise fragilise quelque peu la reprise économique mondiale, déjà affaiblie par l'embrasement du monde arabe et la solvabilité défaillante de pays européens comme la Grèce, l'Irlande ou le Portugal.

Elle ne devrait pas la faire trébucher, cependant, mais plutôt cristalliser le déclin de l'empire du Soleil-Levant, amorcé durant la dernière décennie du siècle dernier.

À court terme, la Bourse de Tokyo peut chuter, en particulier les titres de sociétés comme Sony, Toshiba ou Toyota dont les usines situées près de l'épicentre du séisme connaîtront des arrêts de production forcés.

Il est aussi probable que le Japon traverse une récession technique, surtout si la radioactivité s'en mêle. Il avait déjà connu une légère décroissance au dernier trimestre de 2010, mais il s'en relevait pourtant bien en début d'année.

L'injection massive de liquidités par les autorités monétaires nippones devrait contenir l'appréciation du yen, consécutive au rapatriement de capitaux investis à l'étranger. Elle vise aussi à stimuler les exportations et à faciliter le crédit nécessaire à la reprise de l'activité économique dans les zones les plus sinistrées.

Le budget d'urgence que le gouvernement entend adopter pour financer la reconstruction va aussi permettre au Japon de se relever, comme cela avait été le cas après le tremblement de terre à Kobe, en 1995.

Endettement accru

Ces stimuli extraordinaires se feront cependant au prix d'un endettement accru. Le pays, qui est déjà en décroissance démographique, est le plus endetté du monde industrialisé.

La taille de sa dette frôle déjà près de deux fois la valeur de ce qu'il produit annuellement (plus de 5000 milliards en dollars américains, l'an dernier).

La décote récente de cette dette la rendra moins attrayante aux investisseurs étrangers, au moment où c'est vers eux que Tokyo devra se tourner pour la financer en partie.

Ces nouveaux besoins d'argent surviennent au moment où les États-Unis empruntent déjà 4,4 milliards par jour pour financer leur plan de relance et leurs baisses d'impôt et où certains pays d'Europe peinent à financer la leur.

Fort heureusement, sur ce front, un important déblocage est survenu dans la nuit de vendredi à samedi.

Les pays de la zone euro, Allemagne et France en tête, ont convenu d'étaler sur sept ans et demi les prêts d'urgence consentis initialement à la Grèce jusqu'en 2013. Ils se disent aussi prêts à acheter directement de nouvelles obligations souveraines, ce qui devrait aider le Portugal et l'Espagne à se financer à meilleur compte au cours des prochains mois. Les détails de cet accord ne sont pas encore connus, mais il paraît en mesure de desserrer le garrot financier qui était en train d'étrangler ces économies.

On connaîtra assez tôt cette semaine l'ampleur de l'onde de choc des catastrophes japonaises dans l'économie mondiale, une fois passé l'effet de panique boursière.

Le malheur des uns...

Demain, la Réserve fédérale doit reconduire sans surprise son taux directeur dans la fourchette de 0 % à 0,25 %, fixée en décembre 2008.

Avant vendredi, beaucoup d'observateurs s'attendaient à ce qu'elle commence à donner des indications sur sa stratégie de normalisation de sa politique monétaire. Son programme d'assouplissement quantitatif de 600 milliards vient à terme en juin.

Les communications de la Fed sont très américano-centristes, contrairement à celles de la Banque du Canada, qui commente presque toujours l'état des déséquilibres mondiaux. Quelque allusion improbable de sa part à la tragédie japonaise ferait l'objet de moult conjectures.

Chose certaine, les États-Unis pourront tirer parti du ralentissement forcé de la désormais troisième économie du monde. Après tout, si Toyota ou Nissan sont contraints de ralentir leur production, c'est une occasion pour les usines américaines (y compris celles de Toyota et de Honda) de combler le vide.

Le nettoyage et la reconstruction des zones sinistrées vont profiter aussi aux grands équipementiers américains et aux fournisseurs canadiens de biens de base : bois d'oeuvre, cuivre et fer, aux premiers plans. Le Japon est le troisième acheteur mondial de matières premières.

L'arrêt de production de la centrale nucléaire de Fukushima le forcera à générer de l'électricité à partir de combustibles fossiles. Le prix du pétrole ne devrait pas décrocher dans ces conditions, ce qui fera l'affaire des cinq provinces canadiennes qui en pompent.

Les échanges commerciaux entre le Canada et le Japon avoisinent les deux milliards par mois. Ils sont assez équilibrés, même si le Canada a dégagé un léger surplus au cours des derniers mois.

En 1995, les exportations canadiennes vers le Japon avaient bondi dans la foulée du séisme à Kobe. Si l'histoire se répète, la triple catastrophe nipponne galvanisera le maillon faible de l'économie canadienne, nos exportations.