Grand exportateur de pétrole, la Norvège a un produit intérieur de 58 700$ par habitant, le deuxième en importance de l'OCDE. Mais au lieu de flamber l'argent du pétrole, la Norvège a réformé son système de retraite.

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En ce matin d'hiver, le parc Vigeland est nimbé de brouillard. Le givre habille les quelque 200 sculptures de ce musée en plein air, un des plus beaux attraits de la ville. Marie Berg marche dans ce décor féérique, en commentant l'oeuvre et la vie de son créateur, Gustav Vigeland.

La dame aux cheveux blancs comme neige a eu 67 ans l'an dernier, l'âge officiel de la retraite en Norvège. Passionnée par l'histoire d'Oslo et les langues - elle en maîtrise six - elle continue de travailler à temps partiel comme guide touristique. «Pourquoi arrêter?» demande-t-elle.

Les Norvégiens prennent leur retraite assez tard: le taux d'emploi chez les personnes de 55 à 64 ans atteint 69,3%, contre 57,5% au Canada, selon l'OCDE. Mais les Norvégiens devront travailler encore plus longtemps avec la réforme du système de retraite qui est entrée en vigueur en janvier 2011. Un régime minceur imposé malgré toute l'abondance dont jouit la Norvège, grâce à la découverte de pétrole dans la mer du Nord dans les années 70.

Spartiate, la Norvège

«Même si nous avions les revenus du pétrole, la démographie posait un défi trop grand pour assurer le maintien de l'ancien système de retraite», explique Per-Kristian Foss, qui a été ministre des Finances de 2001 à 2005. À ce titre, il a été l'un des principaux artisans de la réforme.

En s'inspirant de la réforme suédoise, la Norvège a complètement revu son système de retraite. «L'ancien modèle était beaucoup plus généreux. Mais le nouveau modèle est plus flexible», estime Agnes Bergo, de la société-conseil Pengedoktoren AS.

Auparavant, il fallait travailler 40 ans pour obtenir la rente maximale qui était établie en fonction du salaire des 20 meilleures années. Les Norvégiens touchaient cette rente à 67 ans, pas avant. Désormais, ils peuvent l'obtenir dès 62 ans ou patienter jusqu'à 75 ans, à leur gré. La rente dépendra des cotisations versées pendant totue la durée de la carrière, à raison de 18% du salaire par année. Ainsi, chaque heure, chaque jour, chaque année de travail additionnelle permet de bonifier ses revenus de retraite.

La préretraite aux oubliettes

Pour assurer la viabilité du système, la rente dépendra aussi de l'espérance de vie. «Chaque génération verra ses prestations de retraite réduites si son espérance de vie est plus longue que celle de la génération précédente», explique Per-Kristian Foss. Mais pour bonifier leurs rentes, il espère que les Norvégiens travailleront plus longtemps. C'était le but avoué de la réforme.

Pour inciter les gens à rester sur le marché du travail, la Norvège a aussi modifié un autre volet de son système de retraite (AFP), qui favorisait la préretraite dès 62 ans pour de nombreux travailleurs syndiqués.

«L'objectif de cette rente était de permettre aux travailleurs, surtout les cols bleus qui ont un travail plus physique, de partir à la retraite dans la dignité, plutôt que de les forcer à demander une prestation d'invalidité», explique Simen Lunaas, consultant chez Mercer Norway. Or, ce programme incitait les travailleurs à prendre leur préretraite.

Pouvant difficilement retirer cet avantage, le gouvernement a complètement redéfini le programme. Au lieu d'offrir des revenus strictement entre 62 et 67 ans, la rente d'appoint est désormais versée pour toute la vie. Ceux qui le souhaitent peuvent l'obtenir dès 62 ans avec la nouvelle rente de base. Mais plus on attend, plus le montant augmente.

Et l'avenir?

Même si les travailleurs devront prendre leur retraite plus tard, les Norvégiens ne sont pas sortis manifester dans les rues. C'est que les gens respectent beaucoup la loi et l'ordre.

«Il faut du temps pour prendre les décisions. Mais quand la décision est prise, le consensus est très fort. C'est la seule raison pour laquelle ça marche: tout le monde accepte le contrat social. Il en faudrait vraiment beaucoup pour voir une réaction comme en France», affirme Carl Bang, un financier d'origine norvégienne qui a dirigé la filiale du géant State Street au Canada et en France.

Il faut aussi dire que les Norvégiens ne mesurent pas encore toute la portée de la réforme. «Quatre personnes sur cinq ne comprennent pas le nouveau système! Ce n'est pas simple et les gens n'ont pas l'intérêt pour ça», dit Simen Lunaas.

Il faudra voir à l'usage si la réforme obtient les effets désirés. Les travailleurs vont-ils repousser l'âge de la retraite, comme le souhaite le gouvernement, ou se résigneront-ils à amputer leur rente pour partir avant 67 ans?

Les travailleurs réclameront-ils davantage de prestations d'invalidité - à tort ou à raison - plutôt que de partir à la retraite plus jeune avec une rente réduite? On sait déjà que le très faible taux de chômage en Norvège dissimule une forte proportion de gens qui reçoivent des prestations d'invalidité.

Et les patrons? Feront-ils preuve d'âgisme? Ils ne pourront pas, estime Per-Kristian Foss. «La main-d'oeuvre sera trop petite, dit-il. Les employeurs offriront des avantages aux travailleurs pour les inciter à retarder leur départ à la retraite.»

Mais pour l'instant, les entreprises ont encore le réflexe inverse. Pour traverser les temps durs, elles réduisent leur effectif en offrant des sommes forfaitaires pour encourager les employés plus âgés à devancer leur retraite. La démographie changera-t-elle les moeurs des employeurs? Seul l'avenir le dira.

(Taux d'emploi chez les 55-64 ans)

Suède : 70,3%

Norvège : 69,3%

Japon : 66,3%

États-Unis : 62,1%

Royaume-Uni : 58,2%

Canada : 57,5%

OCDE : 54%

France : 38,2%

Source : OCDE